dimanche 16 février 2014

Vous allez voir Maths


23e séance avec débat






COMMENT J’AI DETESTE LES MATHS
Documentaire français de Olivier Peyon. (2013 - 1h43)



A travers un voyage aux quatre coins du monde avec les plus grands mathématiciens dont Cédric Villani, Jean-Pierre Bourguignon ou Robert Bryant, ce film nous raconte comment les mathématiques ont bouleversé notre monde, pour le meilleur… et parfois pour le pire.
Olivier Peyon relève un bien beau défi en s'attaquant ainsi, dans un film passionnant, parfois très drôle et tellement riche, à la discipline reine des sciences modernes. Non seulement c’est palpitant mais aussi amusant. Vous avez détesté les maths ? Vous allez adorer ce film !
A PARTIR DU JEUDI 20 FEVRIER (première séance scolaire le matin)
+ CINÉ-DÉBAT VENDREDI 21 FEVRIER à 20h30







              Disons-le tout net et tout haut, nous ne sommes pas des naïfs : non seulement on pardonnerait au génie de n’être pas un parangon d’amabilité (les exemples abondent), mais cela concourrait presque à l’admiration qu’on porte aux performances qui font de lui un être hors-normes.
Cependant il arrive qu’on ait de belles surprises, comme celle dont Pascal signalait déjà la rareté au XVIIe siècle : on s’attend à trouver un auteur (c’est déjà très bien), mais en plus il arrive dans des cas exceptionnels qu’on rencontre aussi un homme, c’est-à-dire quelqu’un qui est non seulement une machine performante dans son domaine de compétence, mais qui en plus illustre au plus haut point les qualités humaines.

C’est ce qui se passe, cerise sur le gâteau, avec Cédric Villani.

Pour être tout à fait franc, on n’est pas entièrement surpris. On s’en doutait déjà au vu de ses apparitions à la télévision (notamment 28 minutes, sur ARTE). On se rendait bien compte qu’il n’attirait pas l’attention uniquement par l’originalité de sa tenue et ses cheveux comme dessinés par Peynet (on ne peut pas ne pas y penser, c’était hier la Saint-Valentin). Sa curiosité était tout azimut, pour les sciences, la musique, la littérature,… la vie enfin.







La confirmation n’est pas non plus très récente. Voilà déjà quelques jours que j’ai parmi mes livres de chevet Théorème vivant.






Les notations les plus naïves (les centres d’intérêts d’enfants de douze ans, Chantal Goya figure en bonne place) voisinent avec l’ésotérisme scientifique le plus pointu : des pages d’équations poétiques à force d’être indéchiffrables pour bien plus que le commun des mortels, à la beauté graphique qui atteint souvent à la plus grande élégance. La musique classique témoigne d’un goût exceptionnel (mais depuis Pythagore on sait à quel point la musique et les mathématiques sont sœurs, et pas seulement dans les sphères). Enfin, juste pour me faire plaisir à moi personnellement (si, si, on y croit…) il n’a pas oublié Brel (allez vérifier si vous ne me croyez pas, p. 171, vous pensez bien que j’ai noté). Il le met en premier de ceux qu’il nomme « Les vibrants dramatiques, Brel criant cloué à la Grande Ourse ».




 C’est la chanson Vieillir, qui figure dans le disque testament de 1977, celui des lointaines Marquises, à la célèbre couverture céleste (pourquoi croyez-vous que j’ai choisi cette couleur pour le blog ?), dont voici le contexte du passage évoqué :

Mourir sous le manteau
Tellement anonyme
Tellement incognito
Que meurt un synonyme

Ou terminer sa course
La nuit de ses cent ans
Vieillard tonitruant
Soulevé par quelques femmes
cloué à la Grande Ourse
Cracher sa dernière dent
En chantant Amsterdam

Mourir cela n'est rien
Mourir la belle affaire
Mais vieillir ô vieillir

Mourir couvert d'honneur
Et ruisselant d'argent
Asphyxié sous les fleurs
Mourir en monument

Mourir au bout d'une blonde
Là où rien ne se passe
Où le temps nous dépasse
Où le lit tombe en tombe

Mourir insignifiant
Au fond d'une tisane
Entre un médicament
Et un fruit qui se fane

Ou terminer sa course
La nuit de ses mille ans
Vieillard tonitruant
Soulevé par quelques femmes
Cloué à la Grande Ourse
Cracher sa dernière dent
En chantant Amsterdam

Mourir cela n'est rien
Mourir la belle affaire
Mais vieillir ô vieillir

Chez Brel le M (aime) est une lettre privilégiée. Miche, sa femme, et aussi Marieke, Mathilde, Margot, Madeleine, … Beaucoup de mots en « Ma » ? Alors on pense aux Marquises. Mais on n’oublie pas non plus Mathématiques - ma thématique  (pas vraiment la matière où il excellait, il faut être honnête, la trigonométrie  en particulier lui étant un peu problématique…). 

Eh bien les mathématiques fonctionnent sur d’autres lois que ces lois de la condition humaine. Elles vieillissent, mais se bonifient, loin de mourir elles se vitalisent au fur et à mesure des connaissances accumulées. Elles partent à l’assaut des constellations et des étoiles comme les hommes de progrès rabelaisiens armés du merveilleux pantagruélion. Leurs monuments couverts d’honneurs sont en passe de devenir aussi indestructibles qu’une équipe de handball tricolore. Loin de se faner, leurs fruits se gorgent de nouveaux sucs nourriciers comme s’ils sortaient d’une éternelle corne d’abondance.

Ah ! j’allais oublier, c’est bien aussi d’avoir cité aussitôt après l’autre grand Jacques, Jacques Debronckart.

Pardon, que dites-vous ?… Que je revienne à mes moutons ?  Vous avez raison, excusez-moi, j’y arrive toute de suite.

Donc, tout part de la lecture de Théorème vivant. On y trouve – entre bien autres choses, vous l’avez compris – des échanges de mails avec ses amis chercheurs et collaborateurs, notamment Clément Mouhot. Des lignes de calculs alternent avec des phrases beaucoup plus « claires » comme : « maintenant seulement on intervertit le gradient en v avec la composition par scattering ». En lisant cet échange de mails, je me suis dit : « Et si je lui envoyais un petit mot pour lui faire part de notre semaine maths avec 350 scolaires déjà prévus au Ciné-Lumière de Vierzon ? » Paresseusement, j’ai pris l’adresse du livre et j’ai envoyé ceci comme on jette une bouteille à la mer :

J’espère que vous nous pardonnerez cette intrusion qui n’a pas d’autre excuse que l’amour des sciences et du cinéma. Nous animons un modeste ciné-club qui consacrera la journée du vendredi 21 février au film Comment j’ai détesté les maths. Les classes scientifiques du lycée de Vierzon sont conviées à une séance en début d’après-midi, et une séance tout public aura lieu en soirée. Vous pouvez bien imaginer que nous avons subi maintes pressions amicales pour vous y inviter, ce qui est assez irréaliste compte tenu de notre quasi absence de budget et de vos obligations professionnelles qu’on imagine très contraignantes. Mais, si ce mot vous parvient (j’ai pris la liberté de copier l’adresse de votre livre), nous serions très heureux d’avoir un petit message de votre part dont nous serions fiers de faire état au bénéfice de notre public vierzonnais.
Avec toute notre admiration pour ce que vous faites.

Bien entendu, comme pour tous les sympathisants de notre association, je terminai en donnant les adresses de notre blog.

Comme on pouvait s’y attendre, le message m’a été retourné par le fournisseur d’accès. Alors j’ai cherché un peu mieux, à Lyon (l'Université), à Paris (l’Institut Henri Poincaré dont il est le directeur). Et là, bingo ! C’est parti, et la réponse est revenue.

Merci beaucoup pour votre message chaleureux. Je suis heureux d'apprendre votre projection a venir de ce documentaire unique en son genre, qui d'ailleurs a ete nomine pour les Cesars dans la categorie de meilleur documentaire, et dans celle de meilleure musique originale de film.
Je l'ai pour ma part presente la semaine derniere a une promotion de jeunes scientifiques africains.
Je regrette de ne pouvoir etre des votres le 21 fevrier, mon emploi du temps est vraiment beaucoup trop charge. Vous aurez, je n'en doute pas, enormement de sujets de debats possibles a partir de la trame tres riche du documentaire : sur le statut des mathematiques et de leurs applications, sur leur impact, sur les habitudes sociales des mathematiciens, sur l'enseignement... et puis des personnages aussi etonnants qu'emblematiques -- chercheurs, enseignants, ou financiers comme l'incroyable Jim Simons.

Bien a vous, et tous mes voeux,
Cedric Villani

Professeur de l'Universite de Lyon
Directeur de l'Institut Henri Poincare (CNRS/UPMC)



C’est tout lui, ça, et je laisse tout tel quel. Pas d’accents : usage de clavier américain ? limiter les déformations fréquentes dues aux circuits informatiques ? rapidité de frappe ?… Et puis, surtout, il ne manque jamais une occasion de rappeler que les mathématiques peuvent être une activité solitaire, mais que pour beaucoup, et de plus en plus si j’ai bien suivi, c’est devenu une activité collective (c’est plein d’hommages et de témoignages d’admiration pour les autres dans son livre). Je me suis retenu de peu d’écrire « un sport individuel… un sport collectif », et ce n’aurait pas été complètement incongru :  il existe de bons arguments pour justifier le rapprochement.


J’ai savouré un temps le message, puis j’ai fait preuve d’un altruisme méritoire en le faisant parvenir d’abord aux responsables des classes concernées (Martine, pour le lycée Edouard Vaillant, John, pour le lycée Notre-Dame - St-Joseph), et puis aux adhérents, et finalement, ici, à tous. Vierzoni et mundo.
Aussitôt, le relais est assuré (mon indiscrétion, à l’image de mon enthousiasme, est sans bornes, mais c’est surtout l’occasion de rendre hommage ici au travail efficace de tous ces professeurs). D’une part :

Chers collègues,
je vous transmets le message de Cédric Villani que Jean-Marie a obtenu en réponse à son "invitation" à descendre jusqu'à Vierzon!!

Il a répondu, c'est bien sympathique.
Bon dimanche.
Martine. 

D’autre part :


Il a répondu et même très bien.
C'est remarquable. Sait-il multiplier le temps par deux ?
 A plus    JOHN

PS  Je relance Sainte Sévère afin qu'ils nous avertissent au plus vite de leurs éventuelles actions cette année.



        C'est la préparation de notre sortie au village où Jacques Tati tourna son célèbre Jour de fête. On en reparlera forcément.



       Du temps (2008) où, dans le cadre l'option obligatoire de cinéma du lycée Edouard Vaillant, nous couchions la ville de Vierzon sur des divans pour en étudier la "névrose" (sous la houlette de David Legrand, réalisateur, et Laurent Petit, psychanalyste urbain, lequel, depuis, en a tiré un livre qu'il vient de présenter à Vierzon où tout avait commencé), j'essayais de mener à bien, parallèlement, avec une classe d'option facultative, un projet sur le génial mathématicien au destin tragique Evariste Galois.

Berry républicain, 17 janvier 2014.


       Je m'appuyais largement sur le découpage qu'Alexandre Astruc avait fait pour son court-métrage de 30 mn sur le sujet en 1967, publié en juin 1968 dans l'Avant scène cinéma.
       C'est là mon dernier souvenir de l'option cinéma audio-visuel du lycée Edouard Vaillant.




Sur la couverture de cette revue qui faisait partie de notre documentation,
on voit Evariste Galois à 15 ans, dessiné au crayon par un camarade de classe. 
Dans le film, une discussion entre deux jeunes mathématiciens de 18-19 ans aboutit à trouver "belles" ses démonstrations.



          De nos jours, dans les classes scientifiques, les filles sont largement sous-représentées, et cela n'a rien à voir avec leur potentiel intellectuel. Au XIXe siècle, on s'en doute, la parité était encore bien moins respectée.





         Apparemment, l'aller-retour  entre l'algèbre et la géométrie est non seulement possible, mais fructueux :




Dans le film, il figure dans un coin de tableau, en compagnie d'Euclide.




         Certains comparent l'élégance des pages écrites par mathématiciens à des pages écrites par des musiciens ou en écriture arabe. C'est l'occasion de rappeler le talent précoce des Arabes dans cette discipline. Ah! les probas, par exemple...






     Eh oui, les mathématiques, c'est aussi des jeux. 
L’américain Samuel Loyd (1841-1911) fit de la création des jeux mathématiques et casse-tête en tout genre une véritable industrie. Vers l'âge de 30 ans, il proposa le jeu du taquin (qu'il appelait «14-15 puzzle») : c'est un assemblage de 15 petits carrés numérotés qui peuvent coulisser dans un cadre de 4 carrés sur 4.
Au départ, le jeu est tel que tous les carrés sont dans l'ordre naturel (1, 2, 3, 4, etc.), exceptés les deux carrés 14 et 15, qui sont inversés.
Samuel Loyd offrit 1 000 dollars à celui qui réussirait à mettre les cases dans le bon ordre. Il ne prenait aucun risque: pour intervertir 14 et 15 tout en une permutation impaire; or, le jeu, par sa constitution, ne permet que des permutations paires...
Un siècle plus tard, dans les années 1970, l'ingénieur hongrois Erno Rijbik récidiva en créant une sorte de taquin à trois dimensions: le Rubik's cube. Ce cube est constitué de petits cubes de différentes couleurs, qui peuvent pivoter. Il faut, par des pivotements successifs, faire en sorte que chaque face du «gros» cube ne présente plus qu'une seule couleur. Des millions d'exemplaires du Rubik's cube furent vendus. Tous ceux qui passèrent des heures à le manipuler se doutaient-ils qu'ils appliquaient la théorie des groupes de permutations ?






       A l'époque dont j'ai fait état, je n'avais pas eu accès à cette interview d'Alexandre Astruc (Revue Secousse). J'avoue que je me fais plaisir en le reproduisant ici.



Sixième ► Secousse
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Alexandre Astruc

Entretien sur Évariste Galois
avec Catherine Soullard
(Elle suit sa scolarité au Centre Madeleine-Daniélou et obtient son bac scientifique à 16 ans en 1972. Puis elle entre en classe de mathématiques supérieures aulycée Janson-de-Sailly, où elle passe le bac littéraire en candidate libre et bifurque en cours de scolarité vers la préparation aux grandes écoles de commerce, intégrant l’ESSEC en 1975.)


CS : Pourquoi vous êtes-vous intéressé à Évariste Galois au point de lui avoir consacré un film (produit par Pathé en 1965) et un livre (édité par Flammarion en 1994) ?

AA : Je vais vous expliquer. Mes premières amours dans la vie ont été les mathématiques. J’ai découvert l’algèbre à 12 ans.

CS : Avant votre héros, qui n’a découvert et aimé les mathématiques qu’en seconde, au lycée Louis le grand ?

AA : En effet. Mais pour moi comme pour lui, ça a été un coup de foudre… De fil en aiguille j’ai préparé Polytechnique, où je ne suis pas rentré, car je suis tombé malade. Et c’est par Raymond Queneau que, la première fois, j’ai entendu parler d’Évariste Galois et de sa fameuse nuit de travail acharné avant le duel et la mort. Trente ans plus tard, le fils de Georges Simenon me propose de participer à une série intitulée « Célébrations ». Son père devait célébrer la pipe et moi les mathématiques. J’ai eu l’idée de raconter la dernière nuit d’Évariste Galois, mais finalement ce beau projet est tombé à l’eau, personne n’ayant écrit de scénario, sauf moi ! J’ai alors décidé de mener à bien mon sujet, seul. Si je voulais faire un film sur Galois, il fallait que je me replonge dans les mathématiques ; en l’espace de quinze jours, j’ai appris toutes les mathématiques modernes et je suis arrivé à comprendre le mécanisme de la théorie des groupes de Galois ! Restait à trouver l’acteur susceptible d’interpréter le rôle d’Évariste. Et voilà justement qu’un jeune homme se présente chez moi pour devenir mon assistant. Quand je l’ai vu, je lui ai dit : « Va au mur, retourne-toi et dis-moi : "Abel est un génie"». Il l’a fait et m’a convaincu. José Varela a été mon Évariste… Depuis qu’elle m’était connue, cette histoire me hantait et surtout une chose me chiffonnait : tous les héros étaient des littéraires, des poètes, et moi je voulais montrer qu’on pouvait accéder au romanesque par le biais des sciences. Bernard Palissy est aussi extraordinaire que Rimbaud. Il n’y a pas de différence pour moi entre Évariste Galois, Alexandre Pouchkine et Arthur
Rimbaud, vous comprenez ?

CS : Parfaitement. Et d’ailleurs, lorsque vous filmez Évariste mourant, face contre terre dans l’herbe de la prairie, on ne peut s’empêcher de penser au poème de Rimbaud, Le dormeur du Val… Pour ceux qui ne l’auraient pas vu, pouvez-vous nous raconter en quelques mots le début de votre film, ce qui précède le duel proprement dit ?

AA : Le film s’ouvre sur une cible, une balle y arrive, la caméra recule et on voit Galois en bras de chemise en train de s’entraîner pour le duel. Entrent deux garçons, un jeune écolier et un polytechnicien qui, apercevant des signes au mur, demande à Évariste : ce sont des permutations ? Ils se mettent à discuter, à évoquer N.H. Abel qui travaille sur le même sujet. Évariste explique, le polytechnicien questionne encore, Évariste s’énerve, ils se fâchent et finalement Évariste lui lance le revolver à la tête, l’autre se précipite, on l’arrête mais, avant de partir, il lui dit : « Que vous soyez un génie ou un incompris, ça n’a aucune espèce d’importance, parce qu’en sciences, il n’y a que le progrès qui compte. Vous aurez travaillé pour rien, Galois ! » Galois devient blanc comme un linge, il rentre dans sa chambre et se met à travailler comme un fou jusqu’au matin, tellement anxieux d’être pris par le temps que, pour les calculs intermédiaires, il écrit sur le manuscrit une phrase qui n’en finit pas de me bouleverser : « le lecteur démontrera lui-même, je n’ai pas le temps ».

CS : Votre film est magnifique. La scène du duel est d’une élégance remarquable, la beauté des déplacements dans le cadre, leur exactitude géométrique, leur rythme. Des horizontales et des perpendiculaires qui se dessinent comme dans un tableau, mais nous sommes dans un champ et c’est presque l’été.

AA : Oui, oui, c’était tout à fait volontaire, j’avais en effet composé cette série de plans comme un théorème.

CS : Vous avez aussi effectué un travail très minutieux sur le son. On entend tout, le bruit de la plume sur le papier, des pas dans la forêt, des feuillages frôlés… et la musique, magnifique, épouse le sujet avec une rare subtilité, en particulier quand Évariste se fraie un chemin au milieu des arbres pour arriver sur le lieu du duel : c’est un mélange de notes cristallines et de battements de tambour, si aériens qu’on croirait que le destin s’avance sur des pattes de colombe…

AA : C’est Antoine Duhamel qui l’a signée. Je lui avais demandé de me faire quelque chose qui ressemble de loin aux variations Goldberg.

CS : « Le cinéma, je crois que c’est avant tout un art physique, et les choses les plus abstraites, les tensions, les rapports, les passions intellectuelles doivent y trouver une expression physique » écriviez-vous en février 1961, dans Les Cahiers du Cinéma. Quand Évariste est touché par la balle de Duchâtelet, tout le monde s’enfuit. Il est seul par terre, presque mort. Il essaie de se relever, ne réussit qu’à s’agenouiller, trébuche, retombe, essaie une nouvelle fois, se met à quatre pattes, et parvient enfin à se mettre debout. Ce balbutiement de gestes dégage une humanité et une émotion bouleversantes. Comment l’expliquez-vous ?

AA : C’est vrai que c’est beau et cela tient beaucoup aussi à la musique. Antoine Duhamel m’avait dit : « Écoute, quand Évariste se relève, à ce moment-là, je voudrais qu’on abandonne la rigueur et qu’on mette un thème lyrique, comme dans le cinéma américain ». Ce qu’il a fait, et tout d’un coup, la musique comme dans un western prend de l’ampleur.

CS : Dans un entretien avec Jean Collet pour Télérama, toujours en 1961, vous déclariez : «C’est la mise en scène qui a pour fonction, dans mes films, de coincer les personnages. Je cherche à mettre les personnages dans une situation impossible et à les faire avouer, à savoir exactement ce qu’ils sont ». Comment avez-vous coincé Évariste Galois ?

AA : Eh bien, tout simplement, je le coince par sa mort. Tout le film est fait sur l’idée qu’il va mourir. La camera surplombe le champ, et cette organisation mathématique du duel, c’est pour ça ; ces gens qui paradent, c’est une pavane mortuaire. Pavane pour une infante défunte, comme disait Ravel.

CS : Oui, c’est tout à fait ça, le noir et blanc somptueux, les costumes noirs des témoins et de l’ordonnateur du duel, la chemise blanche d’Évariste, tout le jeu avec les ombres projetées des personnages sur le champ – nous sommes à la fin du printemps, le 30 mai 1832, il fait beau et le champ est empli de fleurs. Votre mise en scène est fidèle à votre vœu le plus cher, exprimant « davantage encore que le récit lui-même le déchirant secret que les personnages portent au fond de leur cœur » (Les Cahiers du Cinéma, octobre 1954)... Quand, à la toute fin du film, la voix off (superbe voix grave de Jean Negroni) dit : « Aujourd’hui, n’importe quel élève de mathématiques spéciales sait quel nom attribuer à la catégorie de corps ayant un nombre fini d’éléments, ces corps sont appelés champs de Galois », alors que sur l’écran on observe le corps de Galois dans un champ, ce n’est évidemment pas un hasard ?

AA : Non, bien sûr !

CS : Vous avez été distingué à Cannes ?

AA : En effet, le film a remporté un prix au Festival de Cannes 1965, dans la catégorie court-métrage. Puis il est sorti dans les salles en première partie. Vous savez, c’est un de mes films préférés avec Le rideau cramoisi (1952), Le puits et le pendule (1964), Une vie (1957).



Alexandre Astruc, 89 ans, travaille sur l’adaptation au cinéma de nouvelles de Mérimée, qu’il devrait tourner dans le courant de l’année 2012.






          Vous les trouvez vieilles, les mathématiques ? Vous avez bien raison, mais elles sont aussi éternellement jeunes. La preuve, cette tablette babylonienne en argile datant de 1500 ans avant notre ère, ce qui est à coup sûr un âge respectable. Mais on y trouve des inscriptions, certes en écriture cunéiforme, mais au contenu étonnamment moderne. 




Vérifiez par vous-même (ou faites-moi confiance, enfin faites plutôt confiance dans ce que dit ma revue) : vous avez là sous vos yeux plusieurs triplets de nombres entiers x, y et z tels que x2 + y2 = z2, comme 3, 4, 5 (9+16=25) – le fameux triplet « égyptien » - , ou 5, 12, 13 (25+144=169). Ce sont déjà les « équations de Pythagore ». La résolution des équations du second degré remonte bien à cette époque, car c’est au sud de l’actuelle Bagdad, sur les rives de l’Euphrate, qu’on a trouvé toutes ces tablettes d’argiles porteuses d’« algorithmes de résolution ».


        Dans la foulée, se profile la célèbre conjecture de Fermat. Cédric Villani a rencontré aux Etats-Unis le fameux Andrew Wiles, - natif de Cambridge en Angleterre, c’était prédestiné - celui qui en a (enfin !) donné la démonstration en 1994.

















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