vendredi 21 février 2014

COMMENT... MATHS (2)

25e séance avec débat








SEANCES SCOLAIRES

VENDREDI 21 FEVRIER 2014 14H

LYCEE EDOUARD VAILLANT





Ce sont eux qui ont repéré le film et ont sollicité notre association, bien avant les vacances de noël, pour que nous puissions l'avoir à Vierzon et envisager des séances scolaires. Projet maintenant concrétisé au Ciné-Lumière.

Cette fois le temps est plus clément,  les élèves peuvent se disperser en plusieurs endroits.






Même scénario d'avant-séance :  regroupement en attendant l'ouverture des portes. 





Jean vient aux nouvelles et fait son cinéma : normal, vu l'endroit.



On s'installe dans la grande salle (salle 1) et on sera plus de 200. Pas d'inquiétude, 
la salle pourrait en accueillir aisément une centaine de plus. 





Ces photos, c'était avant la séance. Pendant la séance, c'était impressionnant de voir ce public qui devait se concentrer (beaucoup de VO, la professeure d'anglais a dû être enchantée) pendant un temps assez important, surtout quand on n'est pas fan de maths au départ (quelques élèves de seconde surtout ont un peu subi ce qu'ils - qu'elles - appelaient quelques "longueurs"). D'autres, en revanche, ont carrément "kiffé le film", découvrant un monde qu'ils ne soupçonnaient pas.
Bilan final de ces séances scolaires: une belle réussite. Ce n'était pas si évident au départ, ni pour le documentaire, ni pour les enseignants et leurs élèves. Maintenant, on peut donc dire que ce double pari a été gagné.
Vive les maths, vive le cinéma, vive les maths au cinéma!
 CQFD.


Un petit problème pour la route ?


       Un problème très vieux, et maintenant parfaitement résolu. Si vous n'y avez jamais vraiment pensé, vous pouvez vous exercer librement, c'est le lieu pour ça... Je ne vois pas beaucoup de films, en effet, où je pourrai caser ce genre de proposition.
        On a commencé à se poser la question sous Louis XIV, où l'administration déjà paperassière avait besoin d'un minimum de rationalité. Elle se perfectionna sous la Révolution française et trouva son aboutissement définitif en Allemagne où elle déboucha même sur une norme mondiale. Entre ces deux étapes, une contrainte supplémentaire a été introduite : la feuille initiale doit avoir une surface d'1 mètre carré (c'est le format A0, et les suivants s'appelleront A1, A2,...).
        L'énoncé pourrait se présenter ainsi:
1) Quelles doivent être les proportions d'une feuille de papier pour qu'elles soient conservées à chaque fois qu'on  divise cette feuille en deux parties égales?
2)  Quelles sont, en arrondissant aux millimètres, les dimensions des feuilles successivement divisées jusqu'à notre bien connu format A4?
     

1)
Le rapport hauteur / largeur doit être conservé avec la feuille suivante qui est la moitié de la précédente. Ce qui donne :


Ne gardons les lettres h et l que dans la fraction de départ, ce qui nous permettra ensuite de calculer aisément l'une une fois qu'on a l'autre :


Une récente émission de Karambolage (ARTE) le confirme : le rapport hauteur / largeur de notre bonne vieille feuille A4 est bien racine de 2.





2)
Introduisons la surface, puisqu'on sait qu'elle doit être de 1m² au départ, et rappelons qu'on s'est donné précédemment les moyens d'exprimer la hauteur en fonction de la largeur :


Il suffit de remplacer h par son expression en fonction de la largeur dans la formule de la surface, et le reste coule de source :
On a donc tout ce qu'il faut: la surface, la largeur en fonction de la surface (ici en cm², 100x100=10000), et la hauteur en fonction de la largeur. Un tableur fait le travail :




Et voilà pourquoi ceux qui s'agacent du centimètre en trop sur la largeur et surtout des trois millimètres en moins sur la hauteur n'auront jamais gain de cause. Un format 20x30 serait à coup sûr séduisant pour notre conscience décimale, mais il ne permettrait pas des divisions successives commodes.
Deux points de vue : les maths sont responsables de la complication, les maths sont instruments de la solution.

       Nos mythes modernes, avatars de mythes anciens, seraient amputés d'une grande partie de leur intérêt sans la mathématico-physique (ou la physico-mathématique).












Berry républicain 21 février 2014.



De quoi s'agit-il (presque) exactement ?


  

    On m’a demandé, puisque j’ai lu le livre, de donner une idée des recherches et des résultats de Cédric Villani, mais à portée de tout un chacun. Dilemme : ne pas se dérober d’une part, et prévenir, d’autre part, que la tâche est quasi impossible, surtout que je suis loin d’être qualifié pour cela. Un bon vulgarisateur (puisque c’est de cela qu’il s’agit) est normalement quelqu’un qui domine le sujet. Ce n’est clairement pas le cas. 
Tout ce que je peux faire, c’est essayer de repérer les passages qui me paraissent (sans garantie !) être au cœur des enjeux majeurs, et les présenter dans une lecture continue, en les privant des formules qui arrêtent généralement la lecture des profanes. Espérons alors qu’avec une certaine imagination participative, on puisse avoir une idée (nécessairement trop faible, hélas !) de ce dont il s’agit. C’est moi qui mets des passages en gras (il faut bien assumer !).


Avant cela, un petit tour (essentiellement) du côté du Nouveau Petit Robert de la langue française 2007 n’est peut-être pas inutile :

entropie [ɑ̃trɔpi] nom féminin
étym. 1869; formé en allemand (Rudolf Clausius), du grec entropia « retour en arrière, transformation »
■ Phys. En thermodynamique, Fonction définissant l'état de désordre d'un système, croissante lorsque celui-ci évolue vers un autre état de désordre accru. L'entropie augmente lors d'une transformation irréversible.
Entropie négative. è néguentropie, augmentation du potentiel énergétique.
Entropie constante (è isentropique).
u Dégradation de l'énergie liée à une augmentation de cette entropie.
▫ Extension de la notion d'entropie à l'informatique.

plasma [plasma] nom masculin
étym. 1845; plasme « calcédoine verte » 1752; mot grec « chose façonnée »

( 1  Plasma sanguin, ou absolt plasma : partie liquide du sang*. è sérum; plasmaphérèse. Plasma lyophilisé.)

 2  (1962) État de la matière portée à très haute température, où les atomes sont en majorité ionisés. La matière des étoiles est à l'état de plasma. Transformer un gaz en plasma. è plasmifier. Jet de plasma.
▫ Écran plasma, dont l'affichage utilise la lumière produite par l'excitation électrique d'un mélange gazeux. La technologie plasma est adaptée aux écrans plats.
 3  Plasma primordial ou plasma de quarks et de gluons : état éphémère de la matière, avant le confinement des quarks et des gluons dans les hadrons.


Ainsi (trop légèrement) armés, jetons-nous enfin à l’eau. 
Dans un premier temps, je m'arrêtais là. Mais on me fit aussitôt comprendre que c'était loin de suffire, et qu'il fallait ajouter des commentaires beaucoup plus explicites, en langage familier. D'accord, mais c'est les âneries assurées. Seul intérêt, mais très peu probable : si Cédric Villani tombe sur ce passage, il sera sans doute édifié de voir ce qu'un profane (celui qui reste devant le "temple" et qui n'accède pas aux secrets des initiés) comprend de ce qu'il a mis en mots que par ailleurs on a lu avec un réel plaisir et l'impression de ne pas totalement passer à côté de tout. 

Voici donc le texte de Villani, avec des coupures.


(A partir de la page 19)
Lev Davidovich Landau, Juif russe né en 1908, Prix Nobel en 1962, est l'un des plus grands physiciens du vingtième siècle. Persécuté par le régime soviétique, libéré de prison grâce au dévouement de ses collègues, il fut aussi un tyran de la physique théorique de son époque, et l'auteur avec Evgeny Lifshitz d'un cours magistral qui fait encore référence. Ses contributions fondamentales sont présentes dans tous les ouvrages de physique des plasmas : d'abord l'équation de Landau, petite sœur de l'équation de Boltzmann que j'ai étudiée pendant des années au cours de ma thèse; et puis le célèbre amortissement Landau, qui suggère une stabilisation spontanée des plasmas, un retour vers l'équilibre sans augmentation d'entropie, à l'opposé des mécanismes qui régissent l'équation de Boltzmann.


Physique des gaz, physique de Boltzmann : l'entropie augmente, l'information se perd, la flèche du temps est à l'œuvre, on oublie l'état initial; peu à peu la distribution statistique s'approche d'un état d'entropie maximale, aussi désordonné que possible. (Ce que comprend ici le profane : la matière se désorganise de plus en plus, et gravement. Elle va tout droit à une telle désorganisation qu'elle se précipite vers une catastrophe inévitable. Si c'est notre univers, il se "désintègre" ou explose probablement au terme de quelques dizaines de milliards d'années, ce qui laisse quand même du temps pour réviser ses cours de maths).
Physique des plasmas, physique de Vlasov : l'entropie est constante, l'information se conserve, pas de flèche du temps, on se souvient toujours de l'état initial; pas d'augmentation du désordre et aucune raison de s'approcher de quoi que ce soit en particulier.  (Celui-ci vient après le précédent, et en affinant ses calculs il tombe sur une situation nettement moins pessimiste. Certes il faut s'attendre à un sérieux état de désordre et de désorganisation de la matière, mais celle-ci a suffisamment de ressources internes et évite cette fois la catastrophe).
Mais Landau a repris l'étude de Vlasov - ce Vlasov qu'il méprise et dont il n'hésite pas à affirmer que presque toutes les contributions sont fausses - et il a suggéré que les forces électriques s'atténuent spontanément au cours du temps, sans qu'il y ait augmentation d'entropie ni frottements de quelque nature que ce soit. Une hérésie ?  (Celui-ci méprise le précédent, affirme qu'il n'a trouvé que des choses fausses, mais paradoxalement il va dans le même sens que lui et même il va plus loin. Non seulement la matière évite la catastrophe, mais elle finit même par retrouver quasi spontanément un état de calme et de tranquillité inattendue. Un peu comme une voiture qui a subi de sérieux cahots mais que les amortisseurs efficaces ramènent à une circulation confortable. S'il s'agit de notre univers, il aboutit à un état très différent de son état initial, mais malgré tout encore stable et organisé, même si c'est d'une autre manière).
Le calcul mathématique de Landau, complexe et ingénieux, a convaincu la communauté scientifique, qui a donné à ce phénomène le nom d'amortissement Landau.



 (A partir de la page 229
Le nom de [Carlo] Cercignani est indissociable de celui de Boltzmann. Carlo a consacré sa vie professionnelle à Boltzmann, à ses théories, à son équation, à toutes ses applications.
Malgré son obsession boltzmannienne, Cercignani était extraordinairement diversifié. À travers l'équation de Boltzmann il a exploré quantité de domaines mathématiques qui étaient liés, de près ou de très loin, à son équation chérie.
Et puis cet homme universel, polyglotte et cultivé, ne s'est pas limité aux sciences : ses œuvres incluent une pièce de théâtre, un recueil de poèmes et des traductions de Homère.


Mon premier résultat important, ou du moins le premier dont je suis vraiment fier, portait sur la « Conjecture de Cercignani ».  (On revient ici aux premiers pas du Villani d'une vingtaine d'années dans le  domaine qu'il explorera définitivement vers les quarante ans avec le succès que chacun désormais connaît. L'intérêt est de réviser les notions que l'on a vues précédemment dans un contexte un peu moins abouti).
J'avais ensuite montré à Giuseppe [Toscani, de Pavie] comment on pouvait ramener le problème de Cercignani, sur la production d'entropie dans l'équation de Boltzmann, à une estimation de la production d'entropie dans un problème de physique des plasmas, que par hasard j'avais déjà étudié avec Laurent. Et puis j'y avais ajouté une pincée de théorie de l'information, un sujet qui m'a toujours passionné (Intéressant ici de voir que les frontières entre les différents domaines explorés par la science sont très poreuses à haut niveau. Entre les mathématiques et la physique, ou entre les mathématiques pures et les mathématiques appliquées, on s'en était déjà sûrement largement persuadé. Ajoutons-y ici la théorie de l'information, et n'ayons pas l'air  plus étonnés que cela).
Nous avions alors presque résolu la conjecture, et j'avais plus tard présenté avec émotion ces résultats aux meilleurs experts de l'équation de Boltzmann, lors d'un colloque à Toulouse. Comme beaucoup d'autres, Carlo m'avait découvert à cette occasion, il était aux anges et me l'avait fait savoir. Il m'avait harangué d'une voix vibrante : « Cédric, prove my conjecture ! »
À vingt-trois ans, c'était l'un de mes premiers articles. Mais cinq ans plus tard, pour mon vingt-troisième article, je revenais sur ce problème avec plus d'expérience et de technique, et je réussissais, enfin, à prouver la fameuse conjecture ; Carlo en était si fier.  (Bon, on apporte pas mal de précisions aux théories basiques sur l'entropie. Sans doute passionnant pour assurer ses bases, mais il va falloir aller bien plus loin pour être vraiment créatif. Vous ne savez pas ce que c'est que cette fameuse conjecture? Ce n'est pas grave, et, si vous y tenez vraiment, elle est "expliquée" plus loin).


Mais j'ai divergé sans crier gare, d'abord vers le transport optimal et la géométrie, ensuite vers l'équation de Vlasov et l'amortissement Landau (On confirme ce qu'on a vu tout à l'heure, à savoir que Cédric Villani a volé vers d'autres cieux, et s'apprête à donner la bonne nouvelle : le pire n'est pas sûr, et c'est même un apaisement étonnant qui attend la matière qu'on croyait auparavant condamnée à courir vers la catastrophe).
La conjecture de Cercignani concerne les liens entre l'entropie et la production d'entropie dans un gaz. Pour simplifier, oublions les inhomogénéités spatiales du gaz, de sorte que seule la distribution de vitesses compte. Soit donc une distribution de vitesses dans un gaz hors d'équilibre : la distribution n'est pas égale à la gaussienne et par conséquent l'entropie n'est pas aussi élevée qu'elle pourrait l'être. L’équation de Boltzmann prédit que l'entropie va croître, mais va-t-elle croître beaucoup ou très peu ?  (Il y avait des lacunes chez Bolzmann : le désordre augmente pendant très longtemps, mais si on s'attend à une course vers la catastrophe après ce temps très long, ce n'est pas du tout démontré. Il y a donc de la place pour d'autres hypothèses).
La conjecture de Cercignani espère que l'augmentation instantanée d'entropie est au moins proportionnelle à la différence entre l'entropie de la gaussienne et l'entropie de la distribution qui nous intéresse.
Cette conjecture a des implications sur la vitesse à laquelle la distribution converge vers l'équilibre, une question fondamentale puisqu'elle est liée à la fascinante découverte de l'irréversibilité par Boltzmann.  (On a ici une prise supplémentaire pour continuer à avancer. Boltzmann a fait un grand pas en montrant que la matière ne revenait jamais à son état ordonné antérieur, mais la théorie doit encore être enrichie dans beaucoup de ses aspects essentiels pour pouvoir dire clairement quel sera son véritable destin dans un futur extrêmement lointain).


En 2003, je montrais que ce résultat reste vrai pour toutes les interactions raisonnables ; et surtout je parvenais à montrer que la conjecture est vraie si les collisions à grande vitesse sont du type des sphères très dures.  (Il semble ici légitime de penser aux collisions gigantesques à l'oeuvre dans l'ensemble de notre univers).

(Fin du texte de Villani).


Bien entendu, pour ceux que les équations non seulement n’effraient pas, mais au contraire attirent, soit pour la poésie des écritures, soit parce qu’ils en maîtrisent la signification, il leur faut sans tarder se reporter à la page 226 où se trouve exposé le Théorème (Mouhot, Villani, 2009).









Bon blog


Vous aimez les maths sous tous leurs aspects? Alors je crois que vous ne serez pas déçu si vous allez visiter ce blog de Didier Müller :


http://www.nymphomath.ch/blog/

Voyez spécialement la rubrique Séries et films, qui présente une émission dédiée à Cédric Villani. Sympathie et intelligence sont constamment au rendez-vous.
Je découvre aussi une vidéo d'hier, l'émission On n'est pas couché. (A voir entre 19' et 43').
J'y ai noté au passage cette "citation célèbre d’une grande mathématicienne russe" :
« Nul ne peut être un grand mathématicien sans avoir l’âme d’un poète. »



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