dimanche 12 janvier 2014

YVES SAINT LAURENT



19e séance avec débat








Biopic français de Jalil Lespert avec Pierre Niney, Guillaume Gallienne,
Charlotte Le Bon, Laura Smet... (2013 - 1h40)
Paris, 1957. A 21 ans, Yves Saint Laurent prend en main les destinées de la prestigieuse maison de haute couture fondée par Christian Dior, décédé.
Lors de son premier défilé triomphal, il fait la connaissance de Pierre Bergé, rencontre qui va bouleverser sa vie. Amants et partenaires en affaires, les deux hommes s’associent. Malgré ses obsessions et ses démons intérieurs, Yves Saint Laurent s’apprête à révolutionner le monde de la mode avec son approche moderne et iconoclaste.





 CINÉ-DÉBAT VENDREDI 10 JANVIER à 20h30
en présence de la décoratrice Delphine Mabed








Le public commence à s'installer, il est clair déjà qu'il a largement répondu présent.

La décoratrice Delphine Mabed a tout à la fois instruit et ravi son auditoire... et les présentateurs.



          On n’a rien contre, et même on veut bien croire que c’est un des fleurons économique et culturel ( ?) du pays, mais il faut bien reconnaître qu’on n’avait a priori ni une grande appétence ni une grande légitimité -  étant donné nos compétences très limitées dans ce domaine - pour faire à Ciné-Rencontres la promotion de la haute couture française.
         Cependant il nous faut aussi avouer que - comme la vraie vie rimbaldienne, la vérité heideggerienne ou platonicienne (ou tout simplement télévisuelle) -, l’intérêt cinématographique pouvait être ailleurs.
         C'est aussi bien un film sur l'art, la création, le génie. Ce pourrait aussi bien être un peintre, un écrivain, un musicien,... un cinéaste, un décorateur. Et pourquoi pas un peintre (artisan, cette fois, et d'ailleurs autrefois dans le vocabulaire, on ne distinguait pas l'artiste de l'artisan, et même on permutait les significations de ces deux mots), un maçon (celui qu'on voit au pied du mur), une "petite main" (sans laquelle il n'y aurait pas de grand couturier, et je me suis laissé dire qu'il y a là aussi une grande différence entre celles qui sont "capables" et celles qui ne le sont pas, et que certaines ne se trouvent qu'ici, en France, et nulle part ailleurs, véritables artistes de leur métier). 
         C'est aussi un film sur l'amour. Ressemblances et différences avec Ma vie avec Liberace ? Dans ce dernier cas, on était, au moins au départ, dans un rapport inégalitaire (thème du gigolo). Ici, la relation est équilibrée, chacun avec ses atouts et ses handicaps, davantage complémentaires que concurrentiels.
        D'un côté, le génie: la barre est placée très haut. De l'autre l'homme d'affaires : efficace. L'un est inadapté au monde ("Ses ailes de géants l'empêchent de marcher", "Je vous assure que je ne sais absolument rien faire d'autre que dessiner",...). L'autre ne connaît rien au domaine dans lequel il exerce son pouvoir, son autorité, tout en recueillant pleinement et avidement les fruits de sa distinction symbolique. Alors la question se pose : le titre véritable ne devrait-il pas être : Pierre Bergé ? A-t-on mis Saint Laurent parce que c'était plus porteur, donc plus vendeur ? Déjà, on avait choisi ainsi le nom d'artiste mis en avant par Yves, ce que sa mère ne manque pas de relever. Plutôt film à la gloire de Pierre Bergé, l'homme solide, le vrai, sans lequel il n'y aurait pas d'artiste, et qui se voit sans doute artiste par procuration. C'est lui le chêne, l'autre est le gui qui s'accroche à lui. La question devient alors : qui est le parasite de l'autre ?... On comprend, à la vue de ce scénario, que Pierre Bergé ait grand ouvert ses armoires pleines d'archives. 
       On pourrait aussi imaginer un film où la création serait montrée dans toute sa richesse et sa complexité, sa rareté aussi. Une autre métaphore s'imposerait alors, par exemple celle d'une architecture éblouissante, et de son armature, importante certes, mais dans la simple mesure où sans prétention artistique elle sert à maintenir l'ensemble. La cathédrale et les arcs boutants, si on préfère. C'est peut-être le coeur du film suivant consacré à Yves Saint-Laurent, décidément plus que jamais à la mode. 


Entre les acteurs Pierre Niney et Guillaume Gallienne,  le réalisateur Jalil Lespert,
rendu célèbre lui-même comme comédien avec le film Ressources humaines
de Laurent Cantet (1999), qui lui a valu le César du meilleur espoir masculin.






Unanimité et réserves

L’unanimité est pour les acteurs, les réserves sont ailleurs.

   « Le film d'hier soir ne m'a pas passionnée même si j'ai remarqué la belle prestation des acteurs principaux . Le milieu de la mode ne m'attire guère ; je trouve qu'on n' en apprend  pas grand chose et  que le personnage même de Saint -Laurent ne crée pas d'empathie ou une quelconque admiration pour son"génie créateur"; de mon point de vue , le film passe à côté de ce qui était peut-être son intention , célébrer un grand créateur. Je ne sais pas ce que la salle en a pensé (J'ai dû partir dès la fin de la projection). » (mail de Jacqueline)


       S’il y a faiblesse, c’est après un début très prometteur qu’elle apparaît pour la majorité des spectateurs, mais pour beaucoup de critiques aussi, qui parlent généralement de « longueurs ». Globalement, ce n’est pas un reproche violent : souvent, on ajoute quelque chose qui dit « peu importe », puisque les avantages finissent par l’emporter. Delphine Mabed a assez bien résumé l’opinion dominante, en reconnaissant ce manque de densité en ce qui concerne le métier même du couturier, la genèse des collection, son rapport précis avec les ouvrières ou l’équipe chargée de rendre concrètes les idées qu’il porte, mais en ajoutant aussitôt que le film a un projet, qu’il n’est pas là pour tout dire, qu’il faut respecter son point de vue et les angles qui son privilégiés par le metteur en scène. C’est évidemment son droit le plus strict que de faire un film selon ses propres intentions. A nous ensuite d’adhérer… ou pas.
        Le film suivant consacré à YSL sera peut-être plus nourri dans ce domaine. Vraisemblablement, il a des chances d’aller encore plus loin dans l’exploration du côté obscur.
        (En effet, il y aura deux biopics consacrés au couturier en 2014 : Bertrand Bonello prépare son film intitulé Saint Laurent dont la sortie, initialement prévue en mai, a été reportée à novembre prochain.)


Professeur à la Fémis, même âge que Delphine Mabed, musicien.


Décors blancs à dorer

      On n’est sûrement pas là pour démythifier la magie du cinéma qui, entre autres, passe par la qualité des décors. D’ailleurs Delphine Mabed nous a bien prévenu : elle ne nous révélera pas tout ! Et nous-mêmes, nous ne dirons pas tout de ce qui nous été révélé entre les quatre hauts murs de la salle ! Moins que dans Ma vie avec Liberace, mais plus que dans beaucoup d’autres films, l’équipe a eu accès à des archives et à des lieux qui ont connu réellement les protagonistes. Malgré tout, l’essentiel de ce qui était proposé au tournage, c’étaient des décors blancs que seule la magie de l’équipe – entre quinze et vingt personnes si ma mémoire est fidèle – devait rendre crédible pour des scènes censées se passer dans un luxe quasi illimité, et cela malgré un budget qui, pour n’être pas négligeable, n’avait pas la même caractéristique. On ne vous dira que peu de choses par exemple sur l’imposante statue de Bouddha qui passe de la vitrine à l’appartement d’Yves Saint Laurent sans que son prix ne soit connu même dans le cadre diégétique du film (« Plus tard, la facture…). Juste qu’elle a connu un certain nombre de tribulations peu prestigieuses dans la voiture particulière du compagnon de l’artiste que nous recevions. 


Les génies ça ose tout

C’est même à ça qu’on les reconnaît.

       Le film semble placé là encore sous le signe d’une certaine ambivalence. Le début, au moins jusqu’à l’épisode du tissu révélateur du génie à l’état naissant, fonctionne admirablement. Je suis bon public de ces entames où l’on voit un enfant révéler des capacités extraordinaires aux adultes médusés qui ne savent pas encore à qui ils ont affaire, alors que moi je le sais parfaitement, et que cela me confère une supériorité réjouissante sur eux (on se fait plaisir avec ce qu’on peut…). Rappel : toute l’équipe des spécialistes butent sur un problème apparemment particulièrement ardu de robe difficile à récupérer parce qu’on ne voit pas comment affiner la taille sans recintrer le haut, ce qui (du moins à ce que j’en ai compris), serait extrêmement embêtant. Et puis voici que s’avance le grand échalas timide, insignifiant, bégayant, inadapté à tout (mais moi je sais que c’est le génie du film donc je me régale) qui soudain se transforme, fait preuve d’autorité, déchire le tissu, le dispose avec des gestes sûr et obtient aussitôt un triomphe mérité. J’ai vu ça cent fois dans d’autres films, mais je marche à tous les coups : c’est un vrai rêve de pédagogue.  Le jeune musicien prodige qui se déclare, le jeune d’Artagnan à peine sorti des leçons de son maître d’armes qui à partir de là ne perdra plus jamais aucun duel, le jeune joueur d’échecs qui vient d’apprendre à peine les rudiments du jeu qu’il bat les experts locaux (dans le film, on voit fugitivement un plan d’une partie d’échecs en cours, mais le développement des blancs y est tout sauf génial), …
         Réserves encore : même là on aimerait en savoir plus. Pour Chaplin, on sait que c’est  sa mère qui lui transmet dès le berceau ou presque ses dons de mime.  Est-ce le cas ici ? C’est difficile de se faire une conviction avec les quelques  pistes qu’on nous laisse simplement entrevoir. De toute façon, tout cela est un peu oublié ensuite. Le film ne va pas au bout de ces intentions initiales.




Echos, ondes concentriques, mises en abîme, prolongements


        Il se trouve que ce même weekend je me trouvais à Tours en profitant de deux expositions intéressantes à proximité l’une de l’autre. L’une, temporaire, logée au musée des Beaux-Arts, concernait un peintre de la fin de XVIIIe siècle dont les caractères variés le situent habituellement entre Fragonard et David, ou plus exactement tantôt très proche de Fragonard et tantôt très proche de David. La seconde, au château de Tours, sur les bords de la Loire, était consacrée à une femme photographe.
       Chez le peintre, la conservatrice du musée avait assuré elle-même une visite aussi documentée que vivante destinée à capter l’intérêt des enfants, mais qui captivait également les adultes. La visite se terminait devant le portrait d’une jeune dame dont le peintre visiblement avait tenu à mettre la beauté en valeur, une femme fruitée avec une bouche cerise mignardement peinte. Il avait jeté sur ses épaules un élégant tissu blanc, avec lequel il avait joué avec un plaisir évident pour en faire ressortir toute la délicatesse et la fine texture. J’ai pensé au tissu blanc avec lequel au début du film YSL sauve une robe mal partie. La conservatrice : « Vous avez vu le film ? Je l’ai vu hier soir. Comment l’avez vous trouvé ? » Bref échange, avec un contenu assez proche de notre rubrique ci-dessus « Unanimité et réserves ». Comme une conclusion, ses derniers propos furent : « Avec ma sœur, on s’est posé la question de savoir lequel était le parasite de l’autre. » Je n’aurais pas été capable d’inventer une pareille coïncidence : mes propos sur « L’artiste et l’homme d’affaire » avaient été écrits la veille.






       Chez la photographe, la rencontre était d’un autre type. Il s’agit d’une femme qui est décédée en 2009, sans que jamais personne ne lui ait dit que c’était un génie, certainement même que jamais elle n’a songé un instant à se qualifier ainsi de toute sa vie. Et pourtant, génie elle était bel et bien, si on en croit le grand cas qu’on fait d’elle aujourd’hui. Un passionné, ayant visiblement lui aussi le sens des affaires, a retrouvé quasi fortuitement une première série de cartons contenant ses nombreux négatifs, achetés pour une bouchée de pain, avant de se lancer méthodiquement en quête de tous les autres. Une fois le tout assemblé, il en fait une promotion telle que la photographe acquiert, d’une façon hélas posthume, un rayonnement planétaire. Si elle n’est pas décédée complètement dans la misère, c’est uniquement qu’elle a gagné sa vie en élevant des enfants, qu’elle les a captivés entre autres en les faisant bénéficier d’une mini association Ciné-Rencontres à leur seul usage, et qu’ils ont assuré par reconnaissance la dignité de sa fin de vie. J’avais ouvert le débat en disant que j’étais loin a priori de l’univers de la haute couture présenté, mais que j’avais été, à ma grande surprise, ému au moins par le début du film. Je suis encore et toujours ému, en revanche, par le sort et l’œuvre de cette étonnante photographe des rues. A Ciné-Rencontres, les rencontres sont parfois étonnantes, voire lointaines, voire même posthumes…

Autoportrait New York 1953
 Les enfants  étaient aux anges quand elle leur rapportait un serpent mort pour l'examiner avec eux ou les emmenait voir des films d'art et essai, assister à la parade du Nouvel an chinois ou surtout quand elle allait cueillir avec eux des fraises sauvages dans un bois tout proche de chez eux.


D'un monde...


... à l'autre.

Vivian Mayer
http://www.jeudepaume.org/index.php?page=article&idArt=1987&lieu=6

François-André Vincent
http://www.mba.tours.fr/index.php?idtf=5190&TPL_CODE=TPL_EXPOSITION&EXPOSITION=10





        Jean-Marie B (donc "l'autre" Jean-Marie), que l'on retrouve avec plaisir dans sa spécialité de découvreur de pépites aussi pertinentes que "décalées" (contrapontiques si on n'aime pas le mot, mais celui proposé à la place est-il vraiment plus sympathique?), vient de dégoter une mise en scène de l'image pas franchement glamour, mais qui donne à réfléchir, ne serait-ce que par le choc qu'elle provoque entre l'extrême luxe et l'extrême pauvreté. 


"Lors du débat , j'ai pensé très fort à une pub de YSL , dont il est fait mention dans le film . C'était en 1971 , et , comme tu le sais , le rôle de la pub n'était pas en odeur de sainteté à cette époque. Témoin le détournement qu'en avait fait Hara Kiri. Autrement : beau film , acteurs excellents , débat intéressant,... ". (JMB)




Le passé et l’avenir


           Bien que plus que profanes, une question nous taraude cependant à la toute fin du film :  cette kyrielle de noms propres prestigieux, qui défilent dans le film ou qu’on connaît par ailleurs (les Dior, Courrèges, Saint Laurent, Lagerfeld, Chanel, Rabanne,…),  à laquelle nous ne prenions pas garde tellement on les trouvait naturels à l’époque, et dont on ne mesure le caractère exceptionnel que parce qu’on est dans l’impossibilité d’en citer d’équivalents dans un monde tout à fait récent, est-elle la marque d’un passé, prestigieux, certes, mais révolu, ou en grande menace de l’être ?
         Osons des parallèles. Dans le cyclisme : Bobet, Anquetil, Hinault, Thévenet, Fignon,… où sont-ils maintenant ceux qui peuvent gagner le Tour de France ? Littérature : depuis Sartre et Camus, quels écrivains et maîtres à penser indiscutables pour notre époque déboussolée ? Depuis Brel, Brassens, Ferré, Ferrat, avec peut-être Aznavour encore debout, qui pour prétendre sérieusement incarner la relève ?…
        Nostalgie passéiste ? Mauvaise foi ? Ignorance ?… Du moins est-on sûrs pour le vélo !



Echos locaux
                 en guise de conclusion.

leberry.fr
CHER > PAYS DE VIERZON > VIERZON 12/01/14 - 06H00


Delphine Mabed était l’invitée de l’association Ciné rencontres,
présidée par John Ryan. - Pétreau


Le projet de naguère devenu actualité



Berry républicain 18 mai 2014




















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