19e séance avec débat
Biopic français de Jalil Lespert avec Pierre Niney, Guillaume Gallienne,
Charlotte Le Bon, Laura Smet... (2013 - 1h40)
Paris, 1957. A 21 ans, Yves Saint Laurent prend en main les destinées de la prestigieuse maison de haute couture fondée par Christian Dior, décédé.
Lors de son premier défilé triomphal, il fait la connaissance de Pierre Bergé, rencontre qui va bouleverser sa vie. Amants et partenaires en affaires, les deux hommes s’associent. Malgré ses obsessions et ses démons intérieurs, Yves Saint Laurent s’apprête à révolutionner le monde de la mode avec son approche moderne et iconoclaste.
CINÉ-DÉBAT VENDREDI 10 JANVIER à 20h30
en présence de la décoratrice Delphine Mabed
Le public commence à s'installer, il est clair déjà qu'il a largement répondu présent. |
La décoratrice Delphine Mabed a tout à la fois instruit et ravi son auditoire... et les présentateurs. |
On n’a rien
contre, et même on veut bien croire que c’est un des fleurons économique et
culturel ( ?) du pays, mais il faut bien reconnaître qu’on n’avait a
priori ni une grande appétence ni une grande légitimité - étant donné nos compétences très limitées
dans ce domaine - pour faire à Ciné-Rencontres la promotion de la haute couture
française.
Cependant il
nous faut aussi avouer que - comme la vraie vie rimbaldienne, la vérité
heideggerienne ou platonicienne (ou tout simplement télévisuelle) -, l’intérêt
cinématographique pouvait être ailleurs.
C'est aussi bien un film sur l'art, la création, le génie. Ce pourrait aussi bien être un peintre, un écrivain, un musicien,... un cinéaste, un décorateur. Et pourquoi pas un peintre (artisan, cette fois, et d'ailleurs autrefois dans le vocabulaire, on ne distinguait pas l'artiste de l'artisan, et même on permutait les significations de ces deux mots), un maçon (celui qu'on voit au pied du mur), une "petite main" (sans laquelle il n'y aurait pas de grand couturier, et je me suis laissé dire qu'il y a là aussi une grande différence entre celles qui sont "capables" et celles qui ne le sont pas, et que certaines ne se trouvent qu'ici, en France, et nulle part ailleurs, véritables artistes de leur métier).
C'est aussi un film sur l'amour. Ressemblances et différences avec Ma vie avec Liberace ? Dans ce dernier cas, on était, au moins au départ, dans un rapport inégalitaire (thème du gigolo). Ici, la relation est équilibrée, chacun avec ses atouts et ses handicaps, davantage complémentaires que concurrentiels.
D'un côté, le génie: la barre est placée très haut. De l'autre l'homme d'affaires : efficace. L'un est inadapté au monde ("Ses ailes de géants l'empêchent de marcher", "Je vous assure que je ne sais absolument rien faire d'autre que dessiner",...). L'autre ne connaît rien au domaine dans lequel il exerce son pouvoir, son autorité, tout en recueillant pleinement et avidement les fruits de sa distinction symbolique. Alors la question se pose : le titre véritable ne devrait-il pas être : Pierre Bergé ? A-t-on mis Saint Laurent parce que c'était plus porteur, donc plus vendeur ? Déjà, on avait choisi ainsi le nom d'artiste mis en avant par Yves, ce que sa mère ne manque pas de relever. Plutôt film à la gloire de Pierre Bergé, l'homme solide, le vrai, sans lequel il n'y aurait pas d'artiste, et qui se voit sans doute artiste par procuration. C'est lui le chêne, l'autre est le gui qui s'accroche à lui. La question devient alors : qui est le parasite de l'autre ?... On comprend, à la vue de ce scénario, que Pierre Bergé ait grand ouvert ses armoires pleines d'archives.
On pourrait aussi imaginer un film où la création serait montrée dans toute sa richesse et sa complexité, sa rareté aussi. Une autre métaphore s'imposerait alors, par exemple celle d'une architecture éblouissante, et de son armature, importante certes, mais dans la simple mesure où sans prétention artistique elle sert à maintenir l'ensemble. La cathédrale et les arcs boutants, si on préfère. C'est peut-être le coeur du film suivant consacré à Yves Saint-Laurent, décidément plus que jamais à la mode.
Unanimité et réserves
L’unanimité est pour les acteurs, les réserves sont
ailleurs.
« Le film d'hier soir ne m'a pas passionnée même si j'ai remarqué la belle prestation des acteurs principaux . Le milieu de la mode ne m'attire guère ; je trouve qu'on n' en apprend pas grand chose et que le personnage même de Saint -Laurent ne crée pas d'empathie ou une quelconque admiration pour son"génie créateur"; de mon point de vue , le film passe à côté de ce qui était peut-être son intention , célébrer un grand créateur. Je ne sais pas ce que la salle en a pensé (J'ai dû partir dès la fin de la projection). » (mail de Jacqueline)
S’il y a
faiblesse, c’est après un début très prometteur qu’elle apparaît pour la
majorité des spectateurs, mais pour beaucoup de critiques aussi, qui parlent
généralement de « longueurs ». Globalement, ce n’est pas un reproche
violent : souvent, on ajoute quelque chose qui dit « peu importe »,
puisque les avantages finissent par l’emporter. Delphine Mabed a assez bien
résumé l’opinion dominante, en reconnaissant ce manque de densité en ce qui
concerne le métier même du couturier, la genèse des collection, son rapport
précis avec les ouvrières ou l’équipe chargée de rendre concrètes les idées
qu’il porte, mais en ajoutant aussitôt que le film a un projet, qu’il n’est pas
là pour tout dire, qu’il faut respecter son point de vue et les angles qui son
privilégiés par le metteur en scène. C’est évidemment son droit le plus strict
que de faire un film selon ses propres intentions. A nous ensuite d’adhérer… ou
pas.
Le film
suivant consacré à YSL sera peut-être plus nourri dans ce domaine.
Vraisemblablement, il a des chances d’aller encore plus loin dans l’exploration
du côté obscur.
(En effet, il
y aura deux biopics consacrés au couturier en 2014 : Bertrand Bonello
prépare son film intitulé Saint Laurent dont la sortie, initialement prévue en
mai, a été reportée à novembre prochain.)
Décors blancs à dorer
On n’est
sûrement pas là pour démythifier la magie du cinéma qui, entre autres, passe
par la qualité des décors. D’ailleurs Delphine Mabed nous a bien prévenu :
elle ne nous révélera pas tout ! Et nous-mêmes, nous ne dirons pas tout de
ce qui nous été révélé entre les quatre hauts murs de la salle ! Moins que
dans Ma vie avec Liberace, mais plus que dans beaucoup d’autres films,
l’équipe a eu accès à des archives et à des lieux qui ont connu réellement les
protagonistes. Malgré tout, l’essentiel de ce qui était proposé au tournage,
c’étaient des décors blancs que seule la magie de l’équipe – entre quinze et
vingt personnes si ma mémoire est fidèle – devait rendre crédible pour des
scènes censées se passer dans un luxe quasi illimité, et cela malgré un budget
qui, pour n’être pas négligeable, n’avait pas la même caractéristique. On ne
vous dira que peu de choses par exemple sur l’imposante statue de Bouddha qui passe de la
vitrine à l’appartement d’Yves Saint Laurent sans que son prix ne soit connu
même dans le cadre diégétique du film (« Plus tard, la facture…). Juste qu’elle
a connu un certain nombre de tribulations peu prestigieuses dans la voiture
particulière du compagnon de l’artiste que nous recevions.
Les génies ça ose tout
C’est même à ça qu’on les reconnaît.
Le film semble
placé là encore sous le signe d’une certaine ambivalence. Le début, au moins
jusqu’à l’épisode du tissu révélateur du génie à l’état naissant, fonctionne
admirablement. Je suis bon public de ces entames où l’on voit un enfant révéler
des capacités extraordinaires aux adultes médusés qui ne savent pas encore à
qui ils ont affaire, alors que moi je le sais parfaitement, et que cela me
confère une supériorité réjouissante sur eux (on se fait plaisir avec ce qu’on
peut…). Rappel : toute l’équipe des spécialistes butent sur un problème
apparemment particulièrement ardu de robe difficile à récupérer parce qu’on ne
voit pas comment affiner la taille sans recintrer le haut, ce qui (du moins à
ce que j’en ai compris), serait extrêmement embêtant. Et puis voici que
s’avance le grand échalas timide, insignifiant, bégayant, inadapté à tout (mais
moi je sais que c’est le génie du film donc je me régale) qui soudain se
transforme, fait preuve d’autorité, déchire le tissu, le dispose avec des
gestes sûr et obtient aussitôt un triomphe mérité. J’ai vu ça cent fois dans
d’autres films, mais je marche à tous les coups : c’est un vrai rêve de
pédagogue. Le jeune musicien prodige
qui se déclare, le jeune d’Artagnan à peine sorti des leçons de son maître
d’armes qui à partir de là ne perdra plus jamais aucun duel, le jeune joueur
d’échecs qui vient d’apprendre à peine les rudiments du jeu qu’il bat les
experts locaux (dans le film, on voit fugitivement un plan d’une partie
d’échecs en cours, mais le développement des blancs y est tout sauf génial), …
Réserves
encore : même là on aimerait en savoir plus. Pour Chaplin, on sait que
c’est sa mère qui lui transmet dès le
berceau ou presque ses dons de mime.
Est-ce le cas ici ? C’est difficile de se faire une conviction avec
les quelques pistes qu’on nous laisse
simplement entrevoir. De toute façon, tout cela est un peu oublié ensuite. Le
film ne va pas au bout de ces intentions initiales.
Echos, ondes concentriques, mises en abîme, prolongements
Il se trouve
que ce même weekend je me trouvais à Tours en profitant de deux expositions
intéressantes à proximité l’une de l’autre. L’une, temporaire, logée au musée
des Beaux-Arts, concernait un peintre de la fin de XVIIIe siècle dont les
caractères variés le situent habituellement entre Fragonard et David, ou plus
exactement tantôt très proche de Fragonard et tantôt très proche de David. La
seconde, au château de Tours, sur les bords de la Loire, était consacrée à une femme
photographe.
Chez le
peintre, la conservatrice du musée avait assuré elle-même une visite aussi
documentée que vivante destinée à capter l’intérêt des enfants, mais qui
captivait également les adultes. La visite se terminait devant le portrait
d’une jeune dame dont le peintre visiblement avait tenu à mettre la beauté en
valeur, une femme fruitée avec une bouche cerise mignardement peinte. Il avait
jeté sur ses épaules un élégant tissu blanc, avec lequel il avait joué avec un
plaisir évident pour en faire ressortir toute la délicatesse et la fine
texture. J’ai pensé au tissu blanc avec lequel au début du film YSL sauve une
robe mal partie. La conservatrice : « Vous avez vu le film ? Je
l’ai vu hier soir. Comment l’avez vous trouvé ? » Bref échange, avec
un contenu assez proche de notre rubrique ci-dessus « Unanimité et
réserves ». Comme une conclusion, ses derniers propos furent : « Avec
ma sœur, on s’est posé la question de savoir lequel était le parasite de
l’autre. » Je n’aurais pas été capable d’inventer une pareille
coïncidence : mes propos sur « L’artiste et l’homme d’affaire »
avaient été écrits la veille.
Chez la
photographe, la rencontre était d’un autre type. Il s’agit d’une femme qui est
décédée en 2009, sans que jamais personne ne lui ait dit que c’était un génie,
certainement même que jamais elle n’a songé un instant à se qualifier ainsi de
toute sa vie. Et pourtant, génie elle était bel et bien, si on en croit le
grand cas qu’on fait d’elle aujourd’hui. Un passionné, ayant visiblement lui
aussi le sens des affaires, a retrouvé quasi fortuitement une première série de
cartons contenant ses nombreux négatifs, achetés pour une bouchée de pain,
avant de se lancer méthodiquement en quête de tous les autres. Une fois le tout
assemblé, il en fait une promotion telle que la photographe acquiert, d’une
façon hélas posthume, un rayonnement planétaire. Si elle n’est pas décédée
complètement dans la misère, c’est uniquement qu’elle a gagné sa vie en élevant
des enfants, qu’elle les a captivés entre autres en les faisant bénéficier
d’une mini association Ciné-Rencontres à leur seul usage, et qu’ils ont assuré
par reconnaissance la dignité de sa fin de vie. J’avais ouvert le débat en
disant que j’étais loin a priori de l’univers de la haute couture présenté,
mais que j’avais été, à ma grande surprise, ému au moins par le début du film.
Je suis encore et toujours ému, en revanche, par le sort et l’œuvre de cette
étonnante photographe des rues. A Ciné-Rencontres, les rencontres sont parfois
étonnantes, voire lointaines, voire même posthumes…
Autoportrait New York 1953 |
Vivian
Mayer
http://www.jeudepaume.org/index.php?page=article&idArt=1987&lieu=6
François-André
Vincent
http://www.mba.tours.fr/index.php?idtf=5190&TPL_CODE=TPL_EXPOSITION&EXPOSITION=10
Jean-Marie B (donc "l'autre" Jean-Marie), que l'on retrouve avec plaisir dans sa spécialité de découvreur de pépites aussi pertinentes que "décalées" (contrapontiques si on n'aime pas le mot, mais celui proposé à la place est-il vraiment plus sympathique?), vient de dégoter une mise en scène de l'image pas franchement glamour, mais qui donne à réfléchir, ne serait-ce que par le choc qu'elle provoque entre l'extrême luxe et l'extrême pauvreté.
Le passé et l’avenir
Bien que
plus que profanes, une question nous taraude cependant à la toute fin du
film : cette kyrielle de noms
propres prestigieux, qui défilent dans le film ou qu’on connaît par ailleurs
(les Dior, Courrèges, Saint Laurent, Lagerfeld, Chanel, Rabanne,…), à laquelle nous ne prenions pas garde
tellement on les trouvait naturels à l’époque, et dont on ne mesure le
caractère exceptionnel que parce qu’on est dans l’impossibilité d’en citer
d’équivalents dans un monde tout à fait récent, est-elle la marque d’un passé,
prestigieux, certes, mais révolu, ou en grande menace de l’être ?
Osons des
parallèles. Dans le cyclisme : Bobet, Anquetil, Hinault, Thévenet,
Fignon,… où sont-ils maintenant ceux qui peuvent gagner le Tour de
France ? Littérature : depuis Sartre et Camus, quels écrivains et
maîtres à penser indiscutables pour notre époque déboussolée ? Depuis
Brel, Brassens, Ferré, Ferrat, avec peut-être Aznavour encore debout, qui pour
prétendre sérieusement incarner la relève ?…
Nostalgie
passéiste ? Mauvaise foi ? Ignorance ?… Du moins est-on sûrs
pour le vélo !
Echos locaux
en guise de conclusion.
leberry.fr
Le projet de naguère devenu actualité
Berry républicain 18 mai 2014 |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire