mercredi 2 octobre 2013

AUX ENFANTS DE LA BOMBE

3e séance avec débat







[Voir aussi juste avant: 
tout ce qui précède, et particulièrement:
Vous l'avez lu...
La poésie, la voici.]







(Ciné-Rencontres du 27 septembre 2013)







            C’est un film au présent historique. On dit aussi présent de narration. Quelle histoire nous est donc ici narrée ? L’histoire d’hommes quelconques, comme vous et moi, nos semblables nos frères, avec des archives personnelles qui ressemblent à s’y méprendre à ce que nous avons soigneusement recueilli, avec l’espoir que notre vie privée ne sombre pas dans l’oubli, au cœur de notre album de photos ou de nos vidéos familiales.
Mais c’est aussi l’histoire d’hommes exceptionnels qui sont, à leur échelle, des acteurs de la guerre froide, donc de la grande Histoire. C’était une époque où la bombe atomique, menaçant de faire sauter plusieurs fois la planète, relativisait beaucoup l’impression globale de paix mondiale. Un conflit entre deux blocs qui les enrôlait d’office dans le camp occidental, mais qui se compliquait singulièrement, comme l’a rappelé le responsable national de l’AVEN, avec l’affaire de Suez de 1956, laquelle plaçait aussi les Anglo-Français en marge du camp américain. Les archives, cette fois, sont celles des actualités de l’époque. De Gaulle en est le personnage central. La France ne gardera son indépendance que si elle a sa bombe à elle. A tout prix.
            La force des images qui nous ramènent à leur présent nous piège, comme dans ces téléfilms qui font entrer Henri IV dans la rue de la Ferronnerie en nous laissant croire une seconde que tout peut se passer, qu’il y a place pour un vrai suspens. Ces jeunes gens sont précisément trop jeunes, trop beaux, trop sportifs, trop heureux de vivre. Un instant nous ne croyons plus à leur mort, même si on nous a prévenus de sa réalité, comme eux sans doute n’y croyaient pas, même si on les avait prévenus des dangers encourus. Dans le débat, on a beaucoup utilisé les mots « insouciance » ou « inconscience ». Insouciance propre à la jeunesse de toutes les époques, qui se pense éternelle parce que son avenir lui apparaît plus qu’abstrait, ou inconscience parce qu’on lui a caché les dangers bien réels qu’elle encourait.
Il a fallu tout le temps du débat et toute la compétence des intervenants de l’AVEN pour aboutir à une réponse qui ne fût pas manichéenne. Tout ce que l’institution a caché aux jeunes recrues exposées au danger a scandalisé légitimement le public comme si l’enjeu était d’une actualité brûlante. Est-il si dépassé que cela, d’ailleurs, quand on pense aux témoignages suscités par le film Grand Central ? Simultanément, on nous présente aussi des gens dont la profession - ingénieur - nous laisse penser qu’il connaissent au moins en grande partie les risques encourus. Ils ont une vraie vocation, une vraie passion, un vrai courage. Ils font penser tout à la fois au savant qui s’inocule le poison dont sortira peut-être un vaccin, au chasseur de tornades qui va au cœur de ce que tout le monde fuit, au soldat qui se précipite sur la tranchée adverse sous la mitraille, au guetteur d’éruptions volcaniques qui prend des risques inouïs pour reculer l’ignorance des phénomènes. Les sandales d’Empédocle, les galères de Pline l’Ancien…
Combien de fois nous sommes-nous confrontés à l’idée que ce n’était « pas si simple » ? On pourrait penser que des gens soumis à de telles horreurs deviendraient des propagandistes acharnés du camp adverse. Nous avons pu constater qu’il n’en est rien. Leur neutralité assumée sur la question du nucléaire n’est probablement pas purement tactique. Pas facile de renier ses convictions premières, et qui pourrait l’exiger ? Bien des « gueules cassées » de l’horrible premier conflit mondial ne voulaient rien renier de leur patriotisme. A tort ou à raison, mais qui peut juger sans se replonger dans le contexte des enjeux et des éducations de l’époque ? La banderole de l’AVEN fixée sur les fauteuils du cinéma le proclame en grosses lettres : VERITE ET JUSTICE. Vérité sur la réalité des contaminations, justice pour les réparations légitimes, même si on sait qu’elles resteront bien en-deçà de la réalité, même si d’autres donneraient volontiers un sens beaucoup plus absolu à ces mots et voudraient aller beaucoup plus loin dans l’accusation ou dans l’indignation.
Comme après le film Indigènes, des politiques ont fait des promesses. Comme dans ce cas, elles sont globalement retombées. L’AVEN est entrée dans des commissions où auparavant elle n’avait pas son mot à dire, et c’est un progrès. Mais les compensations financières se font attendre, et les survivants disparaissent peu à peu. Beaucoup de ministres, tous les présidents de la République, ont promis. Tous ont abandonné. On apprend qu’une seule, parmi les ministres, continue à suivre le dossier : Marisol Touraine.
      Pas si simple non plus l’horreur de ces visages et de ces corps rongés par la maladie. Cela ne se déclenche pas tout de suite, et on espère que pour beaucoup cela ne se déclenchera jamais. Mais c’est une épée de Damoclès. Des témoins dont l’apparence physique est excellente s’expriment avec précision et la voix off nous révèle qu’ils sont morts aussitôt après. C’est que l’ennemi est insidieux, inodore, incolore et sans saveur, comme on le dit habituellement de l’eau qui est pourtant le symbole même de la vie. On nous dit aussi que les fixations sur les doses de contamination sont illusoires. On est irradié ou on ne l’est pas. A partir d’un certain seuil, probablement, sinon la radioactivité naturelle nous tuerait tous.
Le rôle de la médicine a lui aussi ses complexités. On parle de la médecine complice des institutions qui minimise à dessein les risques encourus, comme ce fut le cas pour l’amiante. Ou de médecins de bonne foi mais qui ne peuvent pas savoir, et qu’on oriente vers la piste de l’irradiation. A l’opposé, on dit aussi que les médecins savent tout, mais qu’ils ne peuvent rien, tant la responsabilité est collective et à plusieurs niveaux, y compris celle des citoyens qui acceptent, ou pire peut-être, qui ne veulent surtout pas savoir.
Les politiques envoient au front tout en se planquant eux-mêmes à l’arrière. On l’a dit et redit, et c’est sans doute en grande partie vrai. On évacue De Gaulle ou Messmer en hélicoptère dès que le danger menace trop fortement, et les hommes de troupe sont abandonnés cyniquement sur place. N’empêche, ils sont là, et pour être moindre, le risque pour eux n’est pas complètement négligeable. Le masque de l’un d’eux est mal fixé. Il en mourra comme tant d’autres.
Pas facile non plus de relater les sensations de ceux qui furent les témoins et les acteurs malgré eux de ces déflagrations hors normes. « Oui, nous avions peur ! » Peur et fascination mêlées. Un spectacle pour privilégiés et une menace terrible. Tout est vrai à la fois. Pour l'un des témoins du film, l'image de l'atoll ravagé au milieu des flots bleus est l'image même de la mort. 
Le nucléaire est mortifère. Mais on a cru à la fée nucléaire comme au siècle précédent on a cru à la fée électricité. C’étaient des pionniers, des férus de techniques de pointe, des héros de la lumière et de l’énergie inépuisables. On a encensé les agriculteurs hyper-productivistes pendant les années d’après guerre, héros eux aussi d’une France qui se reconstruisait et qu’il fallait nourrir. Les préoccupations écologiques modernes les ont cloués au pilori de l’histoire. Pas facile pourtant de se renier. Ce n’est pas si simple, en effet, et le jugement anachronique nous fait trébucher à chaque instant.
Les archives intermédiaires qui servent à composer ce film ont pris avec le temps et la qualité du montage un relief saisissant, et introduisent des effets surréalistes dans une atmosphère saturée d’humour noir. Il s’agit des images qui servaient à la communication d’entreprise. Un premier rapprochement s’impose, avec les films publicitaires qui, dans les années 50, nous promettaient un bonheur électroménager, à coup d’images pastel et de ménagères radieuses en motifs vichy. Contrairement à Boris Vian qui s’en moquait, elles vantaient le nettoyage parfait, la propreté absolue, et comme elles les archivent nous vendent le miracle d’une contamination parfaite. On boirait l’eau traitée comme de l’eau minérale, on se baignerait dans leur piscine comme dans notre baignoire récemment récurée.
L’autre aspect, moins familier et plus imposant, de cette communication d’entreprise vise au contraire à impressionner. Les bâtiments futuristes sont autant de cathédrales ou de palais de Versailles à la gloire de l’industrie triomphante. Placez dans ces tubulures rutilantes et complexes des êtres de science fiction aux allures de martiens en combinaisons blanches et aux masques protubérants, et vous ne vous étonnez plus de l’allusion, explicite dans le film, au 2001 odyssée de l’espace de Stanley Kubrick. Sans doute pour mieux attirer notre attention vers un autre film du même réalisateur, situé justement en pleine guerre froide, le fameux Docteur Folamour.
Excès de familiarité d’une part, excès d’emphase de l’autre : tout cela fait très décalé par rapport au destin concret des hommes qui vivent ces situations aussi dangereuses qu’exaltantes. Mais il n’y a pas que les hommes directement impliqués dans ce processus collectif : pas facile non plus de prendre en charge un discours efficace sur les innocents qui n’ont rien demandé, et qui pourtant paient le prix fort. Et comment oublier ces regards d’enfants, ces petits Mozart qu’on sacrifie à la marche de l’histoire et du progrès ? A moins qu’il ne devienne urgent de corriger ces deux derniers mots, et de les remplacer par d’autres plus près - sinon de la justice - du moins de la vérité.




L'accident de Béryl (du nom de code de l'essai) est un accident nucléaire 
qui s'est produit le 1er mai 1962 au Sahara




Gaston Palewski, ministre de la recherche scientifique, décédé des suites d’une leucémie en 1984, était aux côtés de Pierre Messmer, ministre des armées.



       Pierre Desproges disait qu'on peut rire de tout, mais pas avec n'importe qui. Alors, comme vous n'êtes pas n'importe qui, je remercie mon homonyme JMB de m'avoir envoyé des dessins humoristiques sur ce sujet grave. Je donne tout de suite le commentaire qui accompagnait son envoi.


Soirée réussie , autant par une AG rigoureuse et bon enfant que par la projection de ce film et surtout tous ces témoignages . Les différentes prises de parole ont bien montré par leur grande diversité toutes les interrogations , l'incompréhension parfois devant les attitudes des uns et des autres .
Et chacun d'asséner sa grille de lecture en recyclant ses croyances et la facilité que nous avons après coup à refaire le monde et l'Histoire. Evidemment je n'y échappe pas  et vous soumets mes élucubrations (pavloviennes?).
D'abord le fait que la "raison"militaire n'est pas comparable à la raison civile ... Et puis peut-on parler de "raison militaire" ? N'est ce pas un oxymore ragoûtant ? Abus de langage parfait.
A vérifier : il semble me rappeler qu'aux USA , les noirs avaient été mis devant lors des premiers essais...
Concernant les intervenants , même si je comprends leur éloignement tactique de tout engagement politique  ("vous ne me ferez rien dire ni pour ni contre le nucléaire") , aucun mot acrimonieux envers la machine militaire ...Ces assoc ne luttent pas contre ce qui les a broyées mais pour être indemnisées , pour plus de pansements... L'armée n'est ni de droite ni de gauche , comme disait Charles Hernu (rebaptisé Hernucléaire) , comme dans la Centrale nucléaire , au dessus des partis .
Impression que les intervenants auraient été prêts à faire la même expérience  à condition d'être protégés .  Nous avons eu devant nous une excellente assoc de consommateurs , je n'ai senti aucune remise en cause citoyenne .

Je sais , c'est facile à dire devant son clavier ... Quelques dessins de presse de l'époque :






       Emporté par cet élan, je rajoute celui-ci :




         Dans notre programmation, ce film est apparu comme un prolongement du film présenté dans notre
soirée Cinéma-débat au Ciné-Lumière le vendredi 13 septembre  :
« Grand Central ».  

Fim français de Rebecca Zlotowski avec Léa Seydoux (Karole), Tahar Rahim (Gary Manda), Denis Ménochet (Toni), ... (1h35)

De petit boulot en petit boulot, Gary est embauché dans une centrale nucléaire. Là, au plus près des réacteurs, où les doses radioactives sont les plus fortes, il trouve enfin ce qu’il cherchait : de l’argent, une équipe, une famille. Mais l’équipe, c’est aussi la femme de Toni dont il tombe amoureux. L’amour interdit et les radiations contaminent alors doucement Gary. Chaque jour devient une menace.





       Entre temps, quelqu'un a eu la bonne idée de nous prêter le roman qui en est le germe. Nous nous proposons ici de vous faire profiter de plusieurs rapprochements qui nous ont paru pertinents. 


« La centrale est
un territoire de fiction »
Rebecca Zlotowski
QUComment est née l’idée de ce film ? C’est ma coscénariste Gaëlle Macé qui en a eu l’idée, après avoir lu le roman d’Elisabeth Filhol, "La Centrale". J’ai été séduite par ce roman, quoique ne connaissant rien à ce monde du nucléaire, et il nous a semblé à toutes les deux qu’il y avait une évidence à ancrer dans ce décor une histoire d’amour, qui apporterait ce que Pasolini avait fait dans “Accatone”, en ajoutant Bach et la spiritualité aux quartiers pauvres de la périphérie romaine : ce qu’il définissait comme la poésie. Ce milieu des centrales nucléaires, en quoi vous paraissait-il intéressant ? C’est, me semble-t-il, un territoire de fiction absolu. On n’en connaît que peu de choses, il dégage une sorte de mystère et de menace. Et les hommes qui y travaillent ont quelque chose d’héroïque. C’est un lieu qui dégage des sentiments forts, de courage, de solidarité, de sacrifice, et ces hommes et ces femmes qui y vivent (car il y a des femmes) méritent d’être les héros d’une fiction qui rétablissent les valeurs dont ils sont porteurs, eux gens modestes à qui on ne s’intéresse guère.
Propos recueillis par Jean Serroy



LE ROMAN. C'est le genre proclamé par la première de couverture, mais le livre tient aussi beaucoup de l'essai. Au cinéma, ce serait un documentaire légèrement fictionnalisé. En tout cas, l'histoire d'amour du film ne s'y trouve pas.
Le métier d'Elisabeth Filhol, c'est la gestion d'entreprise. Mais ce n'est pas grâce à lui qu'elle a été amenée à s'intéresser à l'industrie nucléaire, ni à s'en approcher (elle n'est d'ailleurs jamais entrée dans une centrale, n'a jamais rencontré ceux qui y travaillent). L'origine de cette attention est plus aléatoire, plus intime : « J'avais commencé un roman, il y a une dizaine d'années, dans lequel il était question de Tchernobyl. Le point de départ de ma réflexion était le fait que, le 1er mai 1986, jour de mon anniversaire, j'étais à Paris, je me souvenais qu'il faisait très beau. La catastrophe avait eu lieu cinq jours plus tôt, à quelques milliers de kilomètres à peine, mais comme peu d'informations nous parvenaient, personne n'avait vraiment l'air inquiet. Il m'a semblé que c'était comme si nous étions assis sur une bombe, dans une sorte d'insouciance, d'indifférence générale. » Le roman en question n'a pas vu le jour, mais l'interrogation sur le nucléaire, ses dangers, les conditions de sécurité précaires dont bénéficient les quelque vingt mille hommes qui y travaillent, le manque d'information, voire la désinformation qui entourent ce sujet... lui sont demeurés en mémoire. Et ont été relancés, il y a trois ans, lorsqu'on a appris le suicide de trois employés de la centrale de Chinon.

 Aux membres du jury du Prix Télérama-France Culture, qui ont choisi cette année de lui décerner leur prix... (2010)





            La métaphore de la guerre guerre, et particulièrement de la Première, est présente dès la première phrase : 


Trois salariés sont morts au cours des six der­niers mois, trois agents statutaires ayant eu chacun une fonction d'encadrement ou de contrôle, qu'il a bien fallu prendre au mot par leur geste, et d'eux qui se connaissaient à peine on parle désormais comme de trois frères d'armes, tous trois victimes de la cen­trale et tombés sur le même front. Un front calme.

 (...)
Il est jeune, j'imagine, en bonne forme physique, et son corps lui répond. Tant qu'il n'aura pas fait l'expérience contraire, il s'en tiendra là. La relève. Comme en première ligne à la sortie des tranchées, celui qui tombe est remplacé immédiatement. Dans la discipline, et les gestes appris et répétés jusqu'à l'automatisme. Il y a des ini­tiales pour ça. DATR. Directement affecté aux tra­vaux sous rayonnements.

 (...)
Chair à neutrons. Viande à rem. On double l'effectif pour les trois semaines que dure un arrêt de tranche. Le rem, c'est l'ancienne unité, dans l'ancien système. Aujour­d'hui le sievert.

           On y montre le rôle de la sous-traitance, ainsi que les deux  statuts qui se côtoient sans vraiment se rencontrer :

Devant les grilles, en cas de coup dur, il y a une solidarité des syndicats qui filtrent et passent au tract, un par un, chacun des deux mille salariés qui entrent, dont la moitié seulement a le statut EDF d'agent. Les autres, comme moi, ne sont là que pour les trois à cinq semaines que dure un arrêt de tranche, mainte­nance du réacteur et rechargement en combustible, de mars à octobre les chantiers se succèdent à travers la France et les hommes se déplacent d'un site à l'autre, tous salariés des sociétés prestataires.


La facilité d’embauche :


      Beaucoup n'aiment pas ce travail. Ils le font une fois, deux fois, et on ne les revoit plus. À cause du circuit primaire. Ils disent que c'est trop dangereux. Effectivement, c'est dange­reux, mais il faut bien le faire, et quand on accepte ce genre de contrat, des missions on en trouve par­tout. Vous franchissez le seuil d'une agence, et c'est signé. Les agences d'intérim poussent autour des centrales comme des champignons, après des mois de galère on se laisse prendre par la facilité : vous entrez, c'est signé.

 (...)


Mais tout de même, des postes à pourvoir, du jour au lendemain, une économie de l'offre, c'est bien ça l'essentiel.
On pousse la porte, et c'est signé. Qui n'a jamais fait ce rêve? Après avoir jeté un coup d'oeil sur les annonces affichées en vitrine, par ce seul geste expri­mer sa motivation, la dame se charge du reste. Vous entrez, vous n'êtes ni le premier ni le dernier, elle est là, disponible, elle répond au téléphone mais son sourire est pour vous, et son regard aussi qui entame déjà le dialogue, et son bras qui vous invite à tirer la chaise et à vous asseoir, ce que vous faites, c'est dans la poche, le job est pour vous.


            La douche :

Premier sas de contrôle, mesure de la radioactivité en tenue, second sas de contrôle, mesure de la radioactivité sans la tenue, douche - la contamination externe s'élimine par douche et brossage -, habits civils, transfert à l'infirmerie, examens, questionnaire de santé, entre­tien.
         Le pire travail :

À Civaux, pour Loïc, ça s'est mal passé. Moins de huit jours après le début des travaux, il s'est vu retirer son habilitation, sanctionné pour faute grave, et l'agence l'a expédié à la centrale de Saint-Laurent sur la Loire nettoyer les tours réfri­gérantes. Le détartrage des tours, il n'y a pas pire. Dans la chaleur du mois d'août, au milieu des amibes et des légionelles, et des produits chlorés qu'on mani­pule, c'est du sale boulot. Au bout de deux semaines, les gars n'aspirent plus qu'à une chose, travailler à l'intérieur, entrer en zone contrôlée; quand on leur délivre les autorisations d'accès, ils vivent ça comme une promotion, d'accord ils vont prendre des doses, mais ça ne se voit pas et le travail est propre.
       Le goût du risque :

D'après lui, ces gars ne sont pas nets. Ils jouent à se faire peur. Jeunes pour la plupart. De toute façon, à ce rythme, on ne fait pas de vieux os. Ce qu'ils aiment dans leur travail, c'est les sensations fortes. Tu les regardes le samedi soir, comme des bizuths en permission, tout ce qu'ils sont capables d'ingur­giter debout, après ça la première fille qui passe et veut bien les suivre est la bonne. Partout, c'est le besoin de vitesse quand ils prennent le volant, et le besoin de partir dès qu'ils en ont fini avec la fille. Les mêmes, tu les retrouves en trois-huit, toujours à fond, de jour comme de nuit, increvables, à te demander certains jours avec quoi ils tiennent. J'en ai vu s'effondrer comme ça sur un chantier, raides. Tu les évacues, et le lendemain un petit jeune arrive avec la même assurance. Bien sûr, il faut avoir des tripes. Mais avoir des tripes, ce n'est pas se shooter à l'adrénaline. Tu peux en croiser qui sont compé­tents, c'est bien ça le pire, des gars valables qui jouent à se détruire à petit feu, tu ne sais pas pour­quoi, quand d'autres travaillent ici pour vivre, eux ce qui les attire, c'est le danger.
    (...) 

Métiers à risques. Pourquoi certains franchissent le pas et d'autres non? Il y a la nécessité, l'urgence, mais pas seulement. Ce qui est à l'œuvre là-bas, au cœur de la centrale, en fascinera d'autres après nous, ce mélange des genres. Comme d'avoir une tension en soi, une crainte sourde, ça n'enlève rien. Le fait qu'à l'attirance soit mêlée autre chose. Certains viennent pour ça, Jean-Yves a raison. Disons qu'on peut venir pour ça, d'autres l'ont fait, certains le font encore. Aussi, bien sûr, pour tout un tas d'autres rai­sons. Mais en dernier ressort, pour aller jusqu'au bout, pour atteindre ce point vers lequel tous les désirs convergent dans leur ambiguïté, ce point cen­tral d'où tout part, d'où toute l'énergie primaire est issue. S'en approcher au plus près, sentir son souffle. D'une telle puissance. Dont on connaît bien les effets dévastateurs. Mais qui a sur les hommes, du moins certains hommes, une force d'attraction incompa­rable - sur certaines femmes aussi peut-être, je ne sais pas, il n'y a pas beaucoup de femmes dans les centrales.
               La transmission qui se perd :

Il parle d'Electrabel qui est l'opérateur dans son pays, la Belgique. Et de l'apprentissage qu'il y avait autrefois dans les centrales avant le rachat par Suez, du lien étroit, solide, entre le gars qui arrivait et celui dont il copiait les gestes et les réflexes de prévention. Et c'est un autre monde qui s'ouvre, dans la fierté du métier et les relations fortes entre les hommes, cette force de l'expérience et de la transmission qui s'interposait pour l'ouvrier jeune entre lui et l'univers menaçant, confiné, du travail en centrale
      Le nucléaire, un monde d’homme, mais une femme pionnière :
La sensation de l'homme qui comprend ça, qui sait être le premier dans l'histoire des hommes à le comprendre? La sensation de cet homme, en l'occurrence une femme, Lise Meitner, réfugiée en Norvège en 1940, à l'instant où l'idée jaillit qu'elle sait être la bonne, d'une portée inima­ginable, sans commune mesure avec ce qui a été mis au jour jusqu'ici ?

                La référence à Tchernobyl :


Le 25 avril 1986, à la centrale nucléaire Lénine sur les rives de la rivière Pripyat en Ukraine, quinze kilomètres au nord-ouest de Tchernobyl, deux cent onze barres de contrôle sont à la disposition des opé­rateurs, techniciens, contremaîtres et ingénieur en chef qui pilotent l'arrêt de la tranche numéro quatre. C'est un arrêt ordinaire pour travaux de mainte­nance. Le réacteur est de type RBMK, une filière à eau bouillante modérée au graphite, développée par l'URSS et exploitée uniquement à l'est du rideau de fer. Sur cette filière, le combustible peut être déchargé et rechargé tout au long de l'année. Tandis qu'en Occident, les mêmes opérations doivent être précédées d'une mise à l'arrêt complet du réacteur.


                 La référence à  Mururoa :

Les gars de la première vague ont eu leur dose. Maintenant c'est à eux de jouer, lui Bernard et ses collègues qui attendent le début de l'intervention habillés comme lui en tenue Mururoa, tant qu'à faire, quitte à devoir y aller, qui voudraient en être déjà débarrassés, et s'impatientent. Un homme le double, suivi d'un deuxième, etc., lentement, avec précautions, ils com­mencent à descendre.


Berry républicain, 18 septembre 2013

Berry républicain, 26septembre 2013





Berry 15-10-2013 :




Un autre point de vue :

(Le Berry, 25 octobre 2013)



Le message suivant  du 6 juin 2014 émane d’Annie, du Mouvement pour la Paix. (Actu Juin 2014).
 Il nous permet un retour vers nos films de début de saison 2013-2014 où le nucléaire était un sujet récurrent Grand Central (24 septembre), Aux enfants de la bombe (2 octobre) où nous rajoutons également cette information.



Chers amis


Bonjour
La chaîne franco-allemande ARTE diffusera vendredi 6 juin à 22 h 45 un documentaire de 52 minutes intitulé "Polynésie : un avenir irradié". 

Ce film a été réalisé par Helgi Felixson et Titti Johnson, documentaristes suédois, au cours de plusieurs séjours en Polynésie et sur l'atoll de Tureia entre 2005 et 2013.
Tureia est l'atoll habité le plus proche des sites d'essais nucléaires français de Moruroa et de Fangataufa qui se sont déroulés entre 1966 et 1996. Au delà des conséquences sanitaires et des risques environnementaux des essais nucléaires sur la petite population de cet atoll, le film déroule l'existence quotidienne d'un jeune couple et des habitants de cet atoll isolé au milieu du Pacifique. Avec leurs inquiétudes, leurs angoisses, leurs interpellations, mais aussi tous les petits et grands bonheurs de la vie de nos lointains compatriotes.
Pour ne pas oublier !

Bien amicalement.










Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire