Tu marches sur des morts, Beauté, dont tu te moques.
(Baudelaire, Les Fleurs du Mal, « Hymne à la Beauté »)
Je pense à ce vers de Baudelaire, pas tant parce que la vache qui a retenu l’attention de tous s’appelle Beauté, mais parce qu’une remarque d’une passagère du van réinventait les métaphores inverses du poète, comme dans ce vers de chute de « Remords posthume » :
- Et le ver rongera ta peau comme un remords.
En effet on est habitué à la comparaison du coucher de soleil avec un incendie, par exemple chez Vigny, au début de « La Mort du Loup » :
Les nuages couraient sur la lune enflammée
Comme sur l’incendie on voit fuir la fumée.
Mais ici, spontanément, une passagère inverse les termes comme si c’était pour elle une évidence : « Les incendies des immeubles me font penser à un coucher de soleil ». Voilà qui en dit long sur le bouleversement profond révélé par ce qui est devenu une image première dans sa vie quotidienne.
J’ai aussi été frappé par le récit, froidement mécanique et indifférent en apparence, de cette femme qui raconte le drame absolu qui la détruit, à travers l’incendie de sa maison, la mort de sa mère, les mutilations de son père. Récit médiatisé pour nous qui voyons nos propres émotions se refléter chez la femme du premier plan, dont le visage se décompose progressivement jusqu’à se couvrir de pleurs.
Je n’oublierai pas non plus ce plan long sur le visage de ce jeune enfant, qui vient d’apprendre le sens d’un mot synonyme d’angoisse, et dont le regard changeant révèle la progression traumatique d’une douleur muette que ce mot tout récemment compris, dans sa signification et dans ses implications pour lui, pour sa famille, et pour le monde dans lequel il va vivre désormais, a inoculée en lui. Extérieurement il arrive que les enfants donnent le change et paraissent ne pas comprendre ce qui est en jeu, mais intérieurement, comme on a pu le dire, les dégâts psychologiques risquent fort d’être gigantesques.
Les tortures physiques ne sont pas non plus absentes, et on reste stupéfait devant ce témoignage d’un homme qui nous dit qu’il a eu de la chance, parce qu’il n’a subi l’électricité que sur ses membres inférieurs, quand son ami, lui, l’a subie en plus dans es deux bras. Il ajoute même : « La première fois on est terrifié, ensuite c’est moins impressionnant, on s’y habitue. »
Par ailleurs, c’est évidemment très bien de proclamer qu’on ne fait pas de hiérarchie entre les victimes. Mais je pense qu’il faut aller plus loin que cette évidence, naturellement partagée à l’unanimité dans une association comme la nôtre : il convient en plus d’apporter d’une façon militante la contradiction active à ceux qui ont une grande influence et qui diffusent abondamment la position contraire. Et il ne faut pas craindre de les dénoncer explicitement. Quand on pense que toutes les vies se valent, qu’un bébé mort à Gaza est un drame aussi absolu que celui d’un bébé mort en Israël ou en Ukraine, du fait toujours de la même folie des adultes, comment en effet ne pas s’indigner du climat médiatico-politique qui règne chez nous, invitant à s’apitoyer uniquement pour ces deux derniers cas, et qui laisse délibérément le premier à l’état de pures statistiques indifférentes ? Dans les discours officiels ambiants, non, toutes les vies ne se valent pas, et ce doit être, pour chaque citoyen conscient et humaniste, un pur scandale. C’est bien un fait que nous vivons en Europe dans une société qui hiérarchise ainsi les victimes, et faire l’autruche devant cela, ce serait s’en rendre complice. Sans oublier par ailleurs que la jeune femme congolaise, qu’on a été jusqu’à la cribler de balles, et qui porte le témoignage terrible que ceux qui l’accompagnaient ont immédiatement été tués ainsi. Cette séquence nous rappelle que les noirs ont été généralement refoulés aux frontières, tandis qu’on laissait passer les blancs avec bienveillance. Ce sont là deux poids deux mesures également intolérables.
Bien sûr, on en sait la cause. Ce qui ne doit pas empêcher de la voir, de la dire, de la dénoncer clairement, bien au contraire : la cause, c’est qu’on veut à tout prix faire entrer ceux-ci dans le camp du « bien », et jeter ceux-là dans le camp du « mal ». On a connu le même climat dans le temps tragique des fausses nouvelles de la guerre du Golfe. Depuis, on a au moins pu reconnaître qu’il s’agissait d’une propagande indigne. Pas sûr que les banalisations éhontées qui ont cours à notre époque fassent un jour l’objet d’une salutaire rectification. Il est à craindre qu’on s’habitue à tout, même à ce qui est le plus éloigné de la plus élémentaire humanité.
Après tout cela, j’allais oublier de dire que c’est pour moi un film important, voire nécessaire, et que le conducteur polonais bénévole qui en est le cœur vivant est, dans sa grande modestie, le plus magnifique des héros. C’est fait.
Un titre bien choisi :
Edwige a fait remarquer en introduction qu’on pourrait jouer sur l’homonymie potentielle du titre : « voix » et « voie » sont homophones mais pas homographes, et on pourrait inventer à cette occasion une graphie inclusive qui ne se limite donc pas au genre et au nombre : « LES VOI.E/X JAUNES ». Remarquons au passage que les connotations de « jaune » dans les manifs, exprimant la trahison du mouvement du temps de Jules Durand, est devenu, depuis les gilets jaunes, un terme signifiant la solidarité avec les mouvements sociaux.
Un débat public (éléments de contexte pris dans l’actualité) :
Caroline Fourest a considéré
«qu’on ne peut pas comparer le fait
d’avoir tué des enfants délibérément, comme le fait le Hamas, et le fait de
tuer des enfants involontairement, en se défendant, comme le fait Israël.» Si «un enfant qui meurt, d’un côté
ou de l’autre, c’est toujours grave», selon l’essayiste, «cette distinction
intellectuelle et morale» doit se faire car «ce n’est pas la même démarche,
ce n’est pas la même intention, et c’est normal que ça n’entraîne pas
exactement les mêmes réactions, les mêmes commentaires.»
Malgré une analyse qui se
voulait nuancée, elle a provoqué l’ire des Insoumis. Dans un communiqué,
diffusé lundi soir, la chef de file des députés insoumis Mathilde Panot a «invité», au nom de son groupe, «choqué» face à des propos «dangereux et racistes», «l’Arcom (Ex-CSA) à prendre toute sa part
dans le traitement de cette affaire.» Avant de demander de «rétablir les droits de toutes
les victimes civiles, notamment des enfants», et de «prendre en conséquence les
mesures qui s’imposent.»
Pourquoi une telle saisine de
la part des Insoumis, qui s’étaient déjà remis à la justice après les
déclarations polémiques du chanteur Enrico Macias ? La députée du
Val-de-Marne accuse Caroline Fourest de «sembler relativiser la gravité
de la mort d’enfants palestiniens.» Voilà pourquoi les élus LFI «ne peuvent pas rester muets
devant de tels propos par lesquels les droits les plus fondamentaux (...) ont
été piétinés.»
La Nupes a beau s’être
fracturée comme rarement ces dernières semaines, à la faveur de la crise au
Proche-Orient, le premier secrétaire du PS Olivier Faure a rejoint les cris
d’orfraie des Insoumis. En brocardant des «distinctions
pseudo-intellectuelles honteuses.» Face à la polémique qui a agité les réseaux sociaux, Caroline
Fourest persiste et signe : «Je maintiens, malgré la meute,
qu'il existe une différence d'intention fondamentale entre cibler des enfants
pour les décapiter et perdre la tête au point de bombarder le Hamas au milieu
d'enfants. Comme je maintiens que c'est grave de tuer des innocents.»
https://www.mediapart.fr/journal/france/211123/conflit-israelo-palestinien-une-chape-de-plomb-s-est-abattue-sur-l-universite-francaise
Un dispositif comparable :
https://cinegraphe.blogspot.com/2015/04/28eme-seance-avec-debat-taxi-teheran.html
https://cinegraphe.blogspot.com/2015/04/taxi-teheran.html
Jean-Marie
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