CINÉ-DÉBAT VENDREDI 6 JUIN à 20h
(fin du débat au plus tard à 22h).
Ce ne fut pas tout à fait vrai, nous avons (un peu) débordé, pour profiter davantage de la présence exceptionnelle du réalisateur, et aussi en raison de la relativement faible représentativité des enfants dans la salle, un temps attribuée à la coquille du journal qui indiquait une séance une demi-heure plus tard que l'horaire prévu, puis par l'effet démobilisateur d'un weekend de Pentecôte donc prolongé, à moins qu'il ne faille incriminer que la trop faible publicité faite autour de cette soirée. Nous essaierons, comme disait le grand Eddy Merckx à chaque fois qu'il venait de laisser échapper une victoire, de faire mieux la prochaine fois!
LE PROMENEUR D’OISEAU
Film franco chinois de Philippe Muyl avec Baotian Li. (2013 - vostf et vf - 1h40)
Accompagné de sa petite fille, jeune citadine gâtée, Zhigen décide de retourner dans son village natal pour y libérer son oiseau, unique compagnon de ses vieilles années. Au cours de ce voyage aux confins de la Chine, dans une nature magnifique, ces deux êtres que tout sépare vont se dévoiler l’un à l’autre et partager souvenirs et aventures. La petite fille va découvrir de nouvelles valeurs, surtout celles du coeur. Tendre et drôle à la fois, évoquant l’intimité des relations parents-enfants dans des paysages époustouflants, et rappelant habilement quelques valeurs essentielles de la vie, ce film est une bien jolie balade.
LE FILM DU CONSEIL MUNICIPAL DES ENFANTS DE VIERZON
en présence de Philippe Muyl, réalisateur du film
C'est la première fois qu'on accueille un réalisateur au Conseil municipal d'enfants. |
Philippe Muyl entre la Chine et Vierzon. Dépaysement assuré. |
C’est un film subtil,
épuré et plein de grâce. On comprend que ces qualités le fassent
apprécier du public chinois, du moins d’un public chinois tel qu’on peut se l’imaginer par delà l'immensité des distances qui nous séparent.
En ce qui me concerne, à travers des lectures, des films, des reportages
télévisés, des représentations artistiques. Et en plus, pour John qui s’y
rendit une fois, mais surtout pour le réalisateur qui y vécut et travailla à
plusieurs reprises, on peut y ajouter l’inappréciable fréquentation concrète de
vraies personnes dans leur environnement quotidien.
Et cette grâce se transmet tout au long d’un film qui paraît
suspendre ses images à un fil aussi ténu que le chant du rossignol : c’est
le nom de cet oiseau chanteur, oiseau que l’on trouve à la fin du film comme
re-créateur de l’harmonie, jamais détruite mais toujours menacée, qui donne en
chinois son titre au film. D’où notre surprise quand nous avons demandé à
Philippe Muyl de nous dire en chinois le titre de son film : c'est qu'on
s’attendait à la traduction littérale du « Promeneur d’oiseau ».
Rétrospectivement, on se rendit compte qu’on avait un indice et qu’on aurait pu
s’en douter : le générique de début ne proposait comme équivalence à notre
titre français qu’un seul caractère...
Il est donc possible que cela induise une différence de
point de vue sur le film. S’agit-il de privilégier l’aboutissement,
c’est-à-dire le résultat final, le but enfin atteint, ou plutôt le chemin
parcouru pour y parvenir, l’errance, les obstacles, les découragements, les
nouvelles forces pour repartir, les adjuvants inattendus qui permettent
d’avancer encore, même avec un pied boiteux, au moment même où se croyait
contraint de devoir renoncer au mouvement. Il y a là un soupçon de mysticisme
(ma dernière phrase, totalement fortuite à l’écriture, me fait après coup
penser, surtout après mon emploi du mot « grâce », au Claudel du Soulier
de Satin). Et enfin, si c’est bien plutôt l’odyssée que le port qui se
trouve privilégiée, ou, en d'autres termes, plutôt la chasse que la prise, comme aurait dit Pascal,
on aurait bien un titre collant au point de vue plutôt traditionnellement occidental.
On ne dira pas pour autant que privilégier le but serait uniquement conforme à
la vision moderne d’une seule conception chinoise fascinée avant tout par des bien
matérialistes qui s’acquièrent par l’accumulation d’argent, un des thèmes
importants explorés par le film. Non, ce trait-là me paraît plutôt largement
partagé par nos deux civilisations, par l’ensemble du monde moderne en général,
et n’a rien de particularisant. Il peut tout au plus être l’objet de remises en
questions sur le vrai sens de la vie, pour peu qu’on ait la chance - ou la
malchance si on considère que s’évader un instant du divertissement est une
malchance -, de se retourner vers ses racines dans le cadre d’une introspection
sincère.
Alors, si ce n’est pas cela, qu’y aurait-il de traditionnellement
chinois dans ce symbole final du rossignol conquis de haute lutte ? Tout
simplement une valeur suprême, l’harmonie, le retour d’une harmonie originelle
dont le film nous a largement fait comprendre à quel point elle pouvait être
profondément menacée, pour peu qu’on ne fasse pas, individuellement et
collectivement, l’effort nécessaire pour la mériter, la maintenir, ou la reconquérir.
Enfin,
plus que jamais persuadé qu’un film parle toujours du cinéma, j’en vois une
confirmation éclatante dans ce film-ci. Il s’est fait, il est donc un
aboutissement et une forme de perfection, mais comment oublier le chemin
compliqué qui a permis d’aboutir à sa création définitive ? On m’objectera
que c’est là l’histoire de tous les films. Sans doute, mais on perçoit ici, plus
qu’on la devine, une genèse qui a sa spécificité. Ce n’est pas tous les jours, par exemple, qu’on présente un film fruit d’une collaboration franco-chinoise.
Et, si on ajoute que c’est la première fois qu’une séance du Conseil municipal
d’enfants bénéficie de la présence du réalisateur, notre soirée était bien,
elle, historique à double titre.
Je n’ai jusqu’ici rien dit de plus précis de l’oiseau
initial qui est depuis dix-huit ans – c’est vieux pour un oiseau, celui de
l’ami n’a pas dépassé neuf années – l'oiseau vedette du film et l'oiseau personnel du grand-père promeneur d’oiseau. Oiseau au
singulier, évidemment, même s’il est appelé à se dédoubler pour les nécessités
du scénario. Il chante, il chante triste, il ne chante plus, il chante à
nouveau, jeune et joyeux. Le grand-père promeneur se doute-t-il de la
substitution ? On le savait dans une première version qui prévoyait une
scène supplémentaire à ce sujet. Elle fut coupée au montage. Nous préserverons
le mystère de Philippe Muyl, il suffit que ceux qui ont vu ou verront le film
se fassent leur opinion propre.
Ce n’est pas à dessein en revanche que je déçois ici les
ornithologues ou les vrais amateurs qui poussent leur amour des oiseaux
jusqu’au point de les connaître presque tous par leur chant et par leur nom
comme était capable de le faire l’héroïne présente-absente du film, grand-mère de la petite fille, femme
défunte du promeneur d’oiseau, elle dont l’âme attend de s’envoler à la manière d'un
oiseau qui recouvre sa liberté. Non, si je n’en dis pas plus, c’est que j’ai tout simplement oublié la
précision que nous a pourtant fournie Philippe Muyl : alors que nous entendions quelque
chose comme « roi mais », il nous a épelé le nom, quelque chose comme
« rhua meh », avec des
« h », ça je m'en souviens, mais mes tentatives sur Internet sont restées infructueuses.
Peut-être qu’un adhérent, mieux informé ou qui aurait pris des notes, permettra
de redonner ultérieurement à l’oiseau star son identité perdue.
Cette vue n'est pas trompeuse: un dialogue entre les différentes générations, thème au coeur du film, s'est naturellement établi. |
Question du petit garçon : « Est-ce que les
Chinois aiment les oiseaux ? »
Philippe Muyl le confirme immédiatement. Les scènes de rue qui mettent en
scène des rencontres d’amis des oiseaux sont véridiques. Les raisons ?
Elles se perdent sans doute dans la nuit des temps. Y a-t-il un rapport avec la
langue chinoise, langue à tons, langue mélodique ? Peut-être…
Multiples (ciné)rencontres d’après séance :
disponibilité et sympathie sont au rendez-vous avec Philippe Muyl.
Le cinéma s’est invité au pot : le tournage en Chine,
les gens fortuitement rencontrés et les acteurs (parfois ce sont les mêmes), les films
précédents et les projets, l’actualité cannoise,… bref une rencontre riche et
passionnante autour de Philippe et de Francis.
La géographie du cinégraphe
Sauf erreur de ma mémoire, il me semble bien que les
magnifiques plans de paysages que les spectateurs n’ont pas manqué de louer
sont le résultat des sites de tournage en Chine du Sud-Est, à proximité de la
frontière vietnamienne ; je me risquerai même à mentionner les provinces du
Guangxi et du Hunan, d’où les illustrations suivantes.
De
beaux paysages et la délicatesse des sentiments sont des ingrédients solides du
film. Mais ils ne sont pas les seuls. Il y eut des rires dans la salle :
l'humour y est presque toujours présent. Dans les meilleurs moments, on se
surprend à penser à Jacques Tati (auquel on a rendu visite récemment, à
Sainte-Sévère), voire, dans les moments de slapstick ou de tendresse, à
Chaplin. Exemple de slapstick au sens propre : la claque finale après l’absurde
chasse au moustique qui relève de l’art du mime. Le même moustique donnera lieu
à une remarque encore drôle de la petite fille : « Je dois avoir
maintenant une chirurgie esthétique ! »
Exemple plus bergsonien, et surtout plus freudien, d’autorité
dégommée, ce moment où le grand-père recommande à la petite fille de faire
attention où elle met les pieds car l’endroit est dangereux, alors que c’est
lui qui soudain s’écroule, et se tord la cheville.
L’enfant tête à claque jusqu’à la caricature fournit on s’en doute de multiples situations comiques, avec une patience qui est à l’opposé des attitudes résolument hostiles du grand W.C. Fields, dont les amis disaient de lui : « Quelqu’un qui déteste les chiens et les enfants ne peut pas être complètement mauvais. » Et l’utilisation des nouvelles technologies – décrétées trop vielles au bout de deux ans - n’est pas en reste, avec par exemple le cadre d’une forêt de bambous où on est égaré que l’on fait passer pour celui d’un parc de centre-ville. On parlera alors de comique, d’humour, de farce ou d’esprit, mais jamais de persiflage – on aime les oiseaux, notamment le rossignol, mais surtout pas ces merles-là – puisque rien ne doit venir entacher, même un peu, la tendresse généralisée de cet univers.
L’enfant tête à claque jusqu’à la caricature fournit on s’en doute de multiples situations comiques, avec une patience qui est à l’opposé des attitudes résolument hostiles du grand W.C. Fields, dont les amis disaient de lui : « Quelqu’un qui déteste les chiens et les enfants ne peut pas être complètement mauvais. » Et l’utilisation des nouvelles technologies – décrétées trop vielles au bout de deux ans - n’est pas en reste, avec par exemple le cadre d’une forêt de bambous où on est égaré que l’on fait passer pour celui d’un parc de centre-ville. On parlera alors de comique, d’humour, de farce ou d’esprit, mais jamais de persiflage – on aime les oiseaux, notamment le rossignol, mais surtout pas ces merles-là – puisque rien ne doit venir entacher, même un peu, la tendresse généralisée de cet univers.
L’aspect funambule s’apprécie dans les nombreux indices qui jalonnent le récit.
Comme dans un conte dont on connaît les codes, les situations et les scènes à
faire sont anticipées. Les ennuis vont arriver, les parents vont s’affronter
car ils sont dans l’incommunicabilité, les choses vont s’arranger car le fils
se rend compte du prix des anciennes valeurs et des racines humaines, surtout
après qu'on a fait l’éloge des grands arbres et de leurs puissantes racines,…
Le critique esprit fort ricane déjà : le réalisateur-funambule va se
casser la figure ! Eh bien non, l’équilibre est parfaitement maîtrisé
jusqu’au générique de fin : chapeau l’artiste !
D’après
les confidences de Philippe Muyl, on ne méconnaît pas les difficultés du tournage
dues aux différences d’habitude et de civilisation, mais on doit reconnaître
aussi une étonnante part de réelle liberté.
L’ensemble
est écrit et le réalisateur veille à la retransmission fidèle de chaque
élément, mais pour l’expression précise des sentiments, les acteurs avaient une
large latitude : il ne s’agit pas de faire de fausse note avec les gestes
et les contacts : impossible de heurter la pudicité inhérente à
l’éducation chinoise. D’autant plus surprenante alors apparaît la bourrade
familière du grand-père secouant la petite fille qui boude ostensiblement,
gestuelle spontanée qui est le fait de l’acteur lui-même. Cela dit, ce type de
pudeur peut très bien apparaître comme universelle, pour peu que le spectateur
retrouve là des situations qui le touchent de près.
On a apprécié en son temps la qualité des dialogues et la finesse des
situations de Cuisine et
dépendances. On n’est pas alors étonné, si on en garde le souvenir, de la
qualité des scènes particulièrement écrites, comme la scène point d’orgue où le
père et le fils se réconcilient et se retrouvent. Le risque cette fois est le
morceau de bravoure convenu et faussement pathétique : écueil évité une
fois de plus, délicat équilibre toujours préservé. Le fils comprend le souhait
du père : les feuilles des arbres tombent toujours sur leurs racines.
Pourtant on partait de loin : « Je n’arrive pas à
m’excuser ! », disait le père en souffrance. Parallèlement, le couple
multipliait les décisions unilatérales sans explication claire, sans vraie
communication, ce qui ne pouvait donner longtemps une relation stable :
« J’ai décidé ! », « Tu ne m’écoutes pas ! » sont
des phrases récurrentes. Comment mener à bien le moindre projet collectif dans
ces conditions ?
Tradition et modernité. Mêlées ou affrontées ? On retrouve, sur un mode
dédramatisé, le thème que Kawabata, dans Kyôto,
avait donné sur un mode tragique, au début des années 60 au Japon (accessible
en traduction au début des années 70 chez nous).
Que
l’acteur qui joue le rôle du grand-père crève à ce point l’écran étonnera
peut-être nos spectateurs, mais sans doute pas les spectateurs de Chine où il
est très connu. Cependant, les mises en garde contre les mirages des gloires de
la modernité ne manquent pas. La lucidité refuse de se laisser aveugler :
« Le
plus grand architecte de Pékin… de Shanghai… de Chine peut-être !
-
N’exagérez-pas ! »
Les leçons de la femme de ménage. « Vous étiez prévenue depuis longtemps,
vous ne m’écoutez pas. » (Là non plus.) « Mais je dois marier mon
fils ! » Curieuses décisions (pour nous) entre politesse de surface
et refus de toute négociation par ailleurs. Pas négociable non plus l’oiseau
contre autre chose que l’i-pad. Le petit garçon malgré son âge est buté et
fermé à tout compromis. On ne discute pas. Ce n’est apparemment pas une
civilisation du marchandage.
Même raideur apparente (pour nous) dans les services à rendre. Visiblement
l’ami contrôleur du train n’a guère de marge de manœuvre. On ne lui laisse pas
beaucoup de choix. Pourtant l’enjeu est d’importance : il risque tout
simplement sa place.
La recherche vitale des arbres et des grottes. La récurrence des mêmes
cycles est garante de l’immortalité, même plaisamment : printemps – été –
automne – hiver,… S’inscrit dans ce cadre le contrat moral qu’il faut
absolument tenir pour que l’harmonie de l’univers soit préservée. Revenir au
point de départ, retrouver ses racines.
Autre processus circulaire à effet comique irrésistible (surtout pour nous ou
aussi en Chine ?) : le dilemme du guérisseur qui ne sait s’il doit
commencer par soigner le pied ou la tête, et qui se décide : « Le
pied… ça soulagera la tête ! »
A noter aussi : l’étonnante présence de la grand-mère
absente. C’est paradoxalement une des constantes (un fil rouge) du film. Même
si elle n’est pas directement incarnée dans une actrice (l’oiseau ?), elle
reste un personnage important du film.
Une partie de la discussion a porté sur la relativité de la
beauté. La petite fille retenue n’était pas aux yeux de chacun la plus belle
parmi ses camarades, mais d’autres critères jouent également. Par exemple, la
capacité à faire la moue, en quoi elle est de première force. Par ailleurs,
sans vraiment parler de message du film, on n’est pas vraiment conduit vers une
définition stéréotypée de la beauté. Foin des blanchissements artificiels à la
Michael Jackson, on est amené à trouver beaux, d’une certaine façon, jusqu’à
ces nombreux visages de vieillards édentés presque toujours souriants.
On a affaire ici à un adulte et une enfant, mais, par
certains côtés, des rapprochements étaient possibles, dans ce périple souvent
délicat, avec des trajets qui concernaient les enfants dans le film Sur le
chemin de l’école.
Mélange de familiarité et de dépaysement, d’universel et de
singulier. Ce couple ici très visiblement à l’œuvre est un couple gagnant. Si
c’est l’universel qui nous frappe, on se réjouit de vérifier l’unité de
l’espèce humaine malgré les différences de culture, et dans le cas contraire,
on peut se dire, dès que la banalité ou le lieu commun menace, que seules notre
ignorance ou notre manque de perspicacité nous empêchent de voir les subtilités
exotiques de telle situation ou de tel symbole. On conçoit enfin aisément que
pareil effet bénéficie depuis longtemps aux films d’Hayao Miyazaki par exemple.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire