dimanche 15 juin 2014

LA BELLE VIE

38e séance avec débat
(antépénultième séance de la saison 2013-2014)

Voir aussi l'article 
PRE-PROPOSITIONS MARS 14 
(30 mars 2014)











LA BELLE VIE

Film français de Jean Denizot avec Zacharie Chasseriaud (Sylvain), Nicolas Bouchaud (Yves, son père), Jules Pelissier (Pierre, son frère aîné)... 
Film tourné en Région Centre. (2013 - 1h33)




Yves vit dans la clandestinité avec ses fils, Sylvain et Pierre.
Il y a dix ans, il les a soustraits à leur mère à la suite d’une décision de justice. Mais les garçons grandissent et la cavale sans fin les prive de leurs rêves d’adolescents. Jusqu’à ce que Sylvain, le cadet, rencontre la belle Gilda : première étape sur la chemin de la belle vie, la sienne...
Un road movie à la française sur les bords de Loire, inspiré d’un fait divers.
Un joli film inattendu et délicat sur l'amour paternel, plein de promesses et qui aborde des sujets graves tout en restant dans le divertissement.

CINÉ-DÉBAT VENDREDI 13 JUIN à 20h30




Encore un film centré sur la transmission et l’éducation. On se rapproche d’une génération depuis Le promeneur d’oiseau (le père étant substitué au grand-père, encore que le rapport père-fils à la fin de ce dernier film était également un grand moment de l’histoire), et on n’a plus le point de vue interne d’une institution (comme avec La cour de Babel ou A ciel ouvert), mais le point de vue interne d’une famille généralement limitée à sa plus simple expression, à savoir le père et ses fils.

On a tout de suite remarqué que cette situation extrême et étonnante permettait de scruter au plus près, avec un regard quasi-scientifique, les rapports entre les principaux personnages, à la manière de ces expériences en pensée proposées sur les êtres humains en formation, dont l’Emile de Rousseau est le grand modèle de référence. Le spectateur est avant tout dans ce cas observateur.







A aucun moment, le film ne place explicitement ses pas dans le cadre de l’histoire véritable qui, à l’évidence, lui fournit pourtant le schéma général de sa trame. Clairement, il ne se présente pas du tout comme un biopic.
Ce dispositif, qui permet d’étudier finement les rapports humains à partir des ingrédients de base initialement disponibles, ne nuit jamais à l’expression des émotions, on pourrait presque dire : au contraire. Jean Denizot fait ressortir ici, dans toute leur pureté, des contradictions ou des complexités qui, dans la vie ordinaire, se trouvent comme diluées et affaiblies par toutes sortes de paramètres parasites, inhérents à nos propres expériences quotidiennes et triviales.

Au départ donc, on dispose d’un nombre limité d’éléments, comme un pur donné chimique à partir duquel on va pouvoir dérouler l’expérience souhaitée, sans que quiconque éprouve le besoin de préciser vraiment en détail le pourquoi ou le comment de leur choix ou de leur présence.
Grossièrement, ces éléments sont : une société constituée avec ses règles ; un père qui s’en estime victime, qui les refuse et qui se trouve d’emblée hors-la-loi ; des fils qui font le choix de le suivre dans cette clandestinité ; le jeune âge der ces derniers qui relativise très vite aux yeux du spectateur la valeur de ce « choix » ; un réseau de solidarités plus ou moins désintéressées et altruistes dont on sait au final peu de choses ; une morale avec des aspects à la fois personnels et universels que le père veut constamment suivre avec la plus grande rigueur possible ; le temps qui passe, étonnamment long dans cette histoire, nécessaire tout à la fois à un travail de destruction d’anciennes structures et de construction de structures nouvelles ; sans oublier – j’allais dire « enfin » mais la liste n’est évidemment pas exhaustive -  une nature exceptionnelle qui rend possibles une vie longtemps secrète et une expérience esthétique proche parfois, sinon du mysticisme, du moins d’un certain panthéisme.

Le débat a beaucoup porté sur l’aspect moral. Chacun a, au départ, envie d’exprimer des impressions premières plutôt tranchées, mais ces dernières peuvent vite évoluer au fur et à mesure que la complexité d’un jugement définitif apparaît plus nettement.

La société, comme chez Rousseau, peut apparaître comme corruptrice d’un homme foncièrement bon à l’état de nature. Le père est alors un héros qui soustrait ses enfants aux fausses valeurs, fondées sur le culte des richesses et des apparences, d’un monde qui ne connaît d’autre loi que la loi de la jungle où les oppresseurs et les opprimés cohabitent le plus mal possible. Sa grande fierté : « Nous ne sommes ni des oppresseurs, ni des opprimés. » Mais cette liberté sera soumise à rude épreuve.












Louis Jouvet et Madeleine Ozeray


Ou bien, comme chez Molière, le père est un égoïste inconscient ou pervers manipulateur qui commet une sorte de crime contre l’humanité de ses fils en leur déniant le minimum d’éducation dans un cadre social auquel ils ont normalement droit en naissant. Sylvain et Pierre, comme la pauvre Agnès de l’Ecole des Femmes. L’insuffisance sinon l’indifférence du tuteur se révèle là aussi par le truchement d’un animal. Le petit chien est mort, et l’édifice se fissure. Dans un contexte bien différent, voire opposé, on avait la même chose dans Maps to the stars : la mort du chien révèle soudain l’absurdité du jeu auquel on se livrait, et la décision se précipite alors : « Je ne joue plus ! » Cette éducation hors institution donne parfois de bonnes choses, des exemples, même rares, sont là pour le montrer. Mais à ce point hors société, c’est tout de suite le danger qui menace : dérive sectaire, ou état proche de la situation d’enfants sauvages.



L’enfant sauvage, François Truffaut (1970).




































Pareillement la morale éducative suivie ne manque pas d’être interrogée. On ne garde sa dignité d’être humain qu’en suivant à la lettre les commandements fondamentaux de la morale laïque rigoureusement transmise par le père, qui n’est rien d’autre par ailleurs que la morale biblique de la jeune fille au catholicisme revendiqué. Mais, la société étant ce qu’elle est, et la survie en clandestinité ayant ses contraintes, on en vient à se demander s’il ne vaudrait pas mieux suivre alors les conseils cyniques de Neveu de Rameau (cette fois on passe du côté de Diderot), et d’élever son rejeton aimé dans une morale de jeune voyou, moyen le plus efficace de lui donner toutes ses chances dans cette société où tous les coups sont permis, et où les plus gentils ont peu de chance de s’en tirer. Ce paradoxe permet au moins de mesurer les limites des convictions paternelles, et de douter au moins de leur côté intangible. « On a toujours le choix » est le postulat de départ. L’épisode du chien sacrifié fait passer à : « Tu sais, je n’avais pas le choix. » Faille dans l’infaillibilité paternelle, qui se donnait jusque-là comme divine.

Dès lors, toutes les évolutions, les libérations, les déceptions aussi, peuvent avoir lieu. Et même les renversements complets. De protégés par leurs pères, les adolescents – et aussi l’adolescente – deviennent les protecteurs de leurs pères. La maladie de l’un, l’alcoolisme de l’autre, ne sont qu’une façon claire de signifier à quel point la situation était devenue impossible, les adultes démythifiés ne tenant plus en laisse les adolescents démystifiés car devenus jeunes adultes eux-mêmes. On ne tue pas le père, mais on se sépare. A l’amiable.



ACTUALITE BACHELIERE



Voilà un film qui pouvait à bon droit être utilisé comme exemple pertinent dans l’un des sujets du bac, lequel commence aujourd’hui, selon la tradition, par l’épreuve de philosophie.
« Suffit-il d'avoir le choix pour être libre ? »
J’ois bien qu’on me parle de choix, mais il y a choix et choix… De quel choix me parle-t-on ? Et de quelle forme de liberté ? Et de quelle « suffisance » ? etc. etc.
Pour prolonger utilement cet aspect de la réflexion, je propose le premier site de correction (et quelle correction d’ailleurs, ne s’agit-il pas en fait d’une proposition de correction parmi bien d’autres possibles ?) que je trouve sur ma route :



Corrigé Bac Philo Série ES : Suffit-il d'avoir le choix pour être libre ?

Introduction/Problématisation. 
En - 399, Socrate est condamné à mort au motif qu'il a corrompu la jeunesse et qu'il n'a pas respecté les dieux de la cité. Mais ses amis le pressent de quitter Athènes pour échapper à cette sentence injuste. Socrate pourtant refuse : il décide de se donner la mort en buvant la ciguë. Cet épisode célèbre de l'histoire de la philosophie donne à réfléchir : Socrate, en se suicidant a-t-il agi librement ? Son choix est-il bien celui d'un homme libre ?
Choisir, c'est opter, donner sa préférence à une chose plutôt qu'à une autre. Se demander si avoir le choix suffit à être libre revient à faire du choix l'essence de la liberté. Mais ainsi formulé le sujet jette le doute sur cette identification. De fait si, lors d'une exécution capitale, on laisse au condamné le choix du mode d'exécution de la sentence, le choix n'est-il pas un faux choix ? Saint Paul en décidant d'être décapité plutôt que crucifié, parce qu'en tant que citoyen romain, ce choix lui est offert, aurait sans doute préféré rester en vie pour continuer sa mission évangélisatrice. Il semble donc qu' avoir le choix ne suffit pas à être libre. Peut-on soutenir pour autant que renoncer à choisir est un gage de liberté ? On se doute que non car si ce renoncement est volontaire, il est encore le produit d'un choix et s'il ne l'est pas, il y a contrainte donc absence de liberté. Tout le problème consiste donc à savoir si on peut déterminer a priori le choix pour que celui-ci garantisse notre liberté : Comment savoir si un choix est rationnel ou pas ? N'est-ce pas toujours a posteriori qu'on peut juger que tel ou tel choix était bien celui d'un homme libre ? Bref, si le choix n'est pas suffisant pour être libre, n'est-ce pas toujours à lui qu'il faut revenir pour signifier notre liberté ? Plus classiquement, on demandera si la liberté est réductible au seul libre-arbitre… 
Retrouvez le plan détaillé sur le site philomag.com
Par Nicolas Tenaillon


Dans ce corrigé proposé, je relève en particulier cette phrase qui colle plutôt bien au film :

« Autrement dit, la multitude des choix pas plus que la force de les réaliser ne permettent de parler d'autodétermination car nos choix sont prédéterminés par les habitudes que nous avons contractées, le plus souvent d'ailleurs au début de notre existence, c'est-à-dire quand nous n'avions pas les moyens intellectuels de les réfléchir. »




Révolte de fiction et révolte dans la réalité



A peine avons-nous quitté le père du film que nous retrouvons l’acteur qui l’incarnait sur notre écran de télévision, cette fois dans l’actualité bien réelle de la contestation des intermittents du spectacle.









"Ce soir Nicolas Bouchaud, l’un des plus grands comédiens français, aurait dû jouer Alceste dans Le Misanthrope."




            " Il est en pointe dans la lutte. Il est un des participants à la cérémonie pour donner le Molière de la trahison au ministre du travail François Rebsamen."




"Tous les jours, quand je me lève, j’ai envie de poser les questions au gouvernement : Mais où vous êtes ? Est-ce que ce pacte de responsabilité est un pacte avec le diable ?" 

"Peut-être la question est-elle : Est-ce encore un gouvernement de gauche ?"









Alceste, voilà qui irait bien au père fuyant la société. Pour les enfants, c'est plutôt Agnès qui leur correspondrait.



Molière, L'Ecole des Femmes (V,4)



ARNOLPHE, bas, à part.
Elle a de certains mots où mon dépit redouble.
(Haut.)
Me rendra-t-il, coquine, avec tout son pouvoir,
Les obligations que vous pouvez m'avoir.
AGNES
Je ne vous en ai pas de si grandes qu'on pense.
ARNOLPHE
N'est-ce rien que les soins d'élever votre enfance?
AGNES
Vous avez là dedans bien opéré vraiment,
Et m'avez fait en tout instruire joliment!
Croit-on que je me flatte, et qu'enfin, dans ma tête,
Je ne juge pas bien que je suis une bête?
Moi-même j'en ai honte; et, dans l'âge où je suis,
Je ne veux plus passer pour sotte, si je puis.



Gaspard Hauser aurait-il spontanément maîtrisé Internet sur ordinateur, plus facile apparemment que le langage pour nos modernes adolescents, à en croire le film?

Gaspard Hauser chante 


L'Énigme de Kaspar Hauser (Jeder für sich und Gott gegen alle),
Werner Herzog, 1974.


Je suis venu, calme orphelin, 
Riche de mes seuls yeux tranquilles, 
Vers les hommes des grandes villes: 
Ils ne m'ont pas trouvé malin. 

A vingt ans un trouble nouveau 
Sous le nom d'amoureuses flammes 
M'a fait trouver belles les femmes: 
Elles ne m'ont pas trouvé beau. 

Bien que sans patrie et sans roi 
Et très brave ne l'étant guère, 
J'ai voulu mourir à la guerre: 
La mort n'a pas voulu de moi. 

Suis-je né trop tôt ou trop tard? 
Qu'est-ce que je fais en ce monde? 
O vous tous, ma peine est profonde: 
Priez pour le pauvre Gaspard!

(Paul Verlaine, Sagesse)




Présentation d'une des vedettes du film, la toue cabanée de la Loire.

Berry républicain, 14 août 2014


Le même fait divers, un film différent

 
Le Canard enchaîné 29 octobre 2014
 
 
 
 
 
 
 
 



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