lundi 2 décembre 2013

Vous allez voir Ame

16e séance avec débat








MON AME PAR TOI GUERIE 
   
VENDREDI 6 DECEMBRE 20H30

Jean-Pierre Darroussin, Grégory Gadebois, Marie Payen, François Dupeyron 
lors du photocall du film "Mon âme par toi guérie" 
lors du 61e San Sebastian Film Festival, le 22 Septembre 2013



J'avoue avoir un instant flotté sur le thème du film, dont on pouvait se demander s'il n'était pas avant tout susceptible de réveiller dans notre belle province du Berry des clichés d'antan dignes du Knock de Jules Romains débarquant dans le petit village de Saint-Maurice et s'inquiétant auprès de son prédécesseur : 

« Knock
Et pas de sorcier, non plus, pas de thaumaturge ? Quelque vieux berger sentant le bouc qui guérit par l'imposition des mains?
Le Docteur
Autrefois, peut être, mais plus maintenant.
Knock
En somme l'âge médical peut commencer. »



       
     Mais j'avoue aussi qu'après avoir consulté les "secrets de tournage" d'Allociné, mon intérêt s'est éveillé: mon côté Don Quichotte sans doute, face aux problèmes presque toujours tortueux et douloureux du financement des films.  



Son incroyable galère

Secret de tournage sur Mon âme par toi guérie
Le réalisateur François Dupeyron a sué sang et eau pour produire ce film. Aucune chaîne publique n’a voulu investir de l’argent et tous les distributeurs consultés ont rejeté le projet du cinéaste. Des producteurs voulaient supprimer des dialogues jugés trop crus, d’autres trouvaient que le sujet n’était pas traité, certains ont même qualifié le scénario de "merde". Le metteur en scène était sur le point de plaquer définitivement le cinéma quand un de ses amis l’a mis en contact avec Paulo Branco, un producteur indépendant qui a tout de suite accueilli le projet à bras ouverts.

Le couteau sous la gorge

Secret de tournage sur Mon âme par toi guérie
François Dupeyron n’hésite pas à faire part de son ras-le-bol quant aux producteurs de chaînes de télévision : "On est dans un système soviétique, la Télé dit oui, tu fais le film, elle dit non… tu peux aller te coucher, va crever la gueule ouverte. C’est ça qui m’arrive, je suis en train de crever…", explique-t-il. Il va jusqu’à comparer la télévision au parti communiste tchécoslovaque tant les réalisateurs en sont selon lui dépendants.

Savoir s’adapter

Secret de tournage sur Mon âme par toi guérie
Mon âme par toi guérie est une adaptation du roman "Chacun pour soi, Dieu s’en fout" publié en 2009 et rédigé par le cinéaste en personne.

Indignez-vous !

Secret de tournage sur Mon âme par toi guérie
En parallèle avec la sortie du film, François Dupeyron souhaite également rappeler à tous l’éternelle lutte dans laquelle les réalisateurs s’engagent pour trouver un financement : "J’ai une faveur à vous demander, vous, les journalistes, la Presse. Aidez-nous ! Entendez ces mots comme un cri. Faites savoir ce contre quoi on doit se battre (…) Aidez-nous ! On a besoin de vous pour retrouver un minimum de liberté, et de dignité."

Joyeuses Retrouvailles

Secret de tournage sur Mon âme par toi guérie

Mon âme par toi guérie est l’occasion pour le metteur en scène François Dupeyron de collaborer à nouveau avec Yves Angelo, déjà directeur de la photographie pour Aide-toi le ciel t’aidera, Inguelezi et Un Cœur qui bat.


      Indignez-vous? Dans le domaine de la censure au cinéma, beaucoup plus indirecte que directe dans nos pays et à notre époque, c'est assurément un vieux problème. L'un des plus éloquents indignés, en son temps (1973), fut assurément le célèbre Jean-Louis Bory.





Sous prétexte que le film risque de donner le «mauvais exemple», il est traité en suspect et présumé coupable. Avant même d'exister. Dès qu'il arrive au monde, il passe obligatoirement en accusé devant un tribunal. Qui fonctionne comme un tribunal de la Mafia : dans l'ombre, sans qu'aucune publicité soit donnée au débat, en dehors de tout contrôle démocratique, en l'absence de l'auteur responsable et d'avocats. Il juge « en son âme et conscience », c'est-à-dire en ses ignorances, limites de son goût, déformations professionnelles, préjugés, manies, vices mentaux. Ce tribunal « nocturne » acquitte ou condamne — à mort, ou à la prison temporaire, ou à divers châtiments corporels comparables à ces mutilations que les tribus barbares autrefois infligeaient à leurs malfaiteurs qu'elles purifiaient, en le leur retranchant, du membre qui avait fauté, un bras, une jambe, les mains, le sexe. Cette juridiction de la pensée et de ses moyens d'expression unit police et justice : le censeur est à la fois juge et argousin.
Autocensure, précensure, censure. La police de la pensée cinématographiée surveille à tous les étages. Particulièrement vigilante aux goulets d'étranglement. Avec une préférence marquée pour cette intervention préalable et indirecte qui s'appelle l'autocensure. Et que s'inflige le réalisateur sous pression ou non de son producteur ou de ses futurs distributeurs.
L'État n'éprouve même pas le besoin de sortir de la coulisse, il en est bien content, soulagé d'éviter au gouvernement un rôle impopulaire. Lorsque Louis Daquin, dans le film qu'il tirait de Bel-Ami, prétendit souligner la satire de la démocratie capitaliste que Maupassant avait aiguisée dans son roman, « on » obligea Daquin à émasculer son adaptation — ce qui fut dommage pour nous, pour le film et plus encore pour Daquin (1955). L'inventeur d'idées a peur de ses idées. Le dialoguiste a peur de ses mots, même s'ils ne figurent pas sur la liste noire des mots tabous (il n'en reste plus beaucoup, mais il y en a : avortement, par exemple). L'opérateur a peur de ses images. Le comédien a peur de compromettre ses grimaces. Et le producteur a peur de tout le monde. Il a raison : la police de la pensée a le pouvoir pour une image, pour un mot (ajoutons les bruits depuis La Grande Bouffe — demain certaines bosses ou certaines fragrances), de décréter l'interdiction totale d'un film, donc la ruine du bailleur de fonds.








            Changeons maintenant de référence: le titre est emprunté à Baudelaire. Simple clin d’œil ou correspondances ambitieuses ? Dans les deux cas, d’ailleurs, la démarche est parfaitement légitime. Camille Esnault semble pencher plutôt en faveur de la seconde option.


Frédi a perdu sa mère. Cette dernière lui a transmis un don, dont il ne veut pas entendre parler. Mais il se trouve peu à peu contraint de reconnaître que ses mains guérissent…
Mon âme par toi guérie : une promesse lumineuse face à l’obscurité de la vie...
François Dupeyron adapte à l’écran son propre roman Chacun pour soi, Dieu s’en fout. Il devient Mon âme par toi guérie, promesse lumineuse face à l’obscurité de la vie que le réalisateur décrit. Un film traversé par des moments de grâce...
Mon âme par toi guérie, par toi Lumière et Couleur ! Ainsi se terminait le poème de Baudelaire auquel François Dupeyron emprunte le titre. Si Baudelaire en faisait sa conclusion, Dupeyron en fait son introduction et imprime sur la pellicule cette lumière et cette couleur, dès les premiers instants. Ces dernières entourent la présence de Frédi, être extraordinaire éclatant, il sait guérir les corps et apaiser les âmes, parmi l’obscur ordinaire du quotidien des mobiles-homes, des hommes qui abandonnent femme et enfant sans en sentir le moindre remords ou encore des femmes qui passent leur journée à boire pour ne plus ressentir. Cette lumière a du mal à subsister dans ce si banal quotidien et nous brûle parfois les yeux, comme elle le fait avec la pellicule souvent surexposée. Pourtant Frédi ne peut faire autrement, cette lumière il la porte en lui et reconnaîtra ceux qui en sont dotés comme lui. Céline Sallette en fait, partie, irradiante dès son apparition à l’écran, c’est son corps déformé, traumatisé que Frédi guérira mais surtout son âme traumatisée par le deuil.
Mais pour en arriver jusque là François Dupeyron passera par bien des détours, jusqu’à s’égarer parfois dans des intrigues secondaires qu’il ne conduit alors jamais à leur fin. Le long-métrage contient des longueurs bien inutiles traversées par autant de moments de grâce, dans lesquels il s’envole et nous rattrape. Au détour d’une scène sur la plage entre un père et sa fille qui pleure pour tous les malheurs des autres ou d’une rencontre, avec une mère en deuil, entre deux portes d’un hôpital bercées par les rayons du soleil, François Dupeyron justifie le choix poétique de son titre. Sa mise en scène, sa photographie, certains dialogues, appuyés par le choix d’une musique violente et mélancolique, construisent le film en forme de travail poétique atteignant souvent son but : nous bouleverser.
Ce but ne pourrait être atteint sans une composition d’acteurs presque sans faute. Comme Frédi irradie le monde, son interprète Grégory Gadebois le fait avec l’image. Son physique si banal, bourru et puissant tranche avec son jeu si travaillé, délicat et fragile. Il porte alors parfaitement la poésie de l’ensemble teintée toujours d’un cynisme aussi mêlé à un humour parfois lourd, mais témoin d’une ironie nécessaire face au tragique de la vie.
Mon âme par toi guérie, par toi Lumière et Couleur !
Par Camille Esnault (TOUTLECINE.COM)°

        On peut penser que, pour un cinéaste, se référer à Baudelaire pour invoquer la lumière et la couleur, matières premières de base, c'est peut-être un peu court. La tentation est grande alors de se remémorer l'ensemble du poème, afin de se préparer à d'autres rapprochements possibles.  Ténèbres, voluptés, mystères, sorcellerie, ... Vers 1860, date de cette pièce 68 des Fleurs du Mal, Baudelaire est au plus fort de son goût pour l'étrange. Dès 1857, il écrivait, dans ses Notes nouvelles en tête des Nouvelles Histoires extraordinaires d'Edgar Poe : "cet élément inattendu, l'étrangeté, qui est comme le condiment indispensable de toute beauté." Il est aisé de repérer au passage dans le poème suivant les expressions qui vont dans ce sens.


   Chanson d'après-midi

Quoique tes sourcils méchants
Te donnent un air étrange
Qui n'est pas celui d'un ange,
Sorcière aux yeux alléchants,

Je t'adore, ô ma frivole,
Ma terrible passion !
Avec la dévotion
Du prêtre pour son idole.

Le désert et la forêt
Embaument tes tresses rudes,
Ta tête a les attitudes
De l'énigme et du secret.

Sur ta chair le parfum rôde
Comme autour d'un encensoir ;
Tu charmes comme le soir,
Nymphe ténébreuse et chaude.

Ah ! les philtres les plus forts
Ne valent pas ta paresse,
Et tu connais la caresse
Qui fait revivre les morts !

Tes hanches sont amoureuses
De ton dos et de tes seins,
Et tu ravis les coussins
Par tes poses langoureuses.

Quelquefois, pour apaiser
Ta rage mystérieuse,
Tu prodigues, sérieuse,
La morsure et le baiser ;

Tu me déchires, ma brune,
Avec un rire moqueur,
Et puis tu mets sur mon coeur
Ton oeil doux comme la lune.

Sous tes souliers de satin,
Sous tes charmants pieds de soie,
Moi, je mets ma grande joie,
Mon génie et mon destin,

Mon âme par toi guérie,
Par toi, lumière et couleur !

Explosion de chaleur
Dans ma noire Sibérie !


       Alors, poésie ou sorcellerie? Et pourquoi pas poésie et sorcellerie mêlées?...




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