dimanche 15 décembre 2013

LA DANSE DE SHIVA






            On pourrait s’exclamer, parodiant Vigny : « Aimez ce que jamais vous ne filmerez deux fois ! ». Et, en effet, ce documentaire ne peut plus être refait, les protagonistes ne sont plus là, elles ne seront plus remplacées, et le contexte ne sera jamais plus le même. Il a désormais valeur d’archive unique.










Le réalisateur Lionel Tardif a été parfaitement reçu au Ciné-Lumière de Vierzon. 


De gauche à droite: Francis, Jean-Marie, Edwige, Lionel, John.


Par sa compétence et sa disponibilité, le réalisateur n'a eu aucune peine à passionner son auditoire...


... un auditoire qui a souvent surpris, d'ailleurs,
 par la précision de ses propres connaissances sur le sujet évoqué.


Le pot traditionnel, moment où se prolongent les conversations générales
et où commencent les conversations particulières. 



On a beau s’y attendre, en raison de toutes nos expériences antérieures (après tout notre association Ciné-Rencontres s’approche doucement de ses dix années d’existence en 2015), on n’en a pas moins à chaque fois des raisons d’être surpris de la variété du public en fonction des films proposés. C’est bien la première fois, et ce n’est qu’un exemple, qu’on voit une jeune femme passionnée de danse au point d’étudier le sanskrit pour mieux comprendre cet univers. On ignore encore - et c’est tant mieux - ce que nous réserve comme futures surprises le réservoir cinéphilique vierzonnais…
            Dans les échanges avec Lionel Tardif, ce fut un véritable festival de noms propres de danseurs et surtout de danseuses fleurant bon la couleur locale indienne, ainsi que de manifestations et spectacles divers et variés, évoqués avec un naturel stupéfiant par des connaisseurs (surtout des connaisseuses) qui visiblement ne faisaient pas semblant d’être passionné(e)s.

            Art de la danse et art du mime. On pense souvent à Marceau. On pense parfois à Chaplin. Des yeux qui roulent mécaniquement avec un mouvement de tête alterné de droite à gauche. Une imitation des automates tant appréciés chez nous au XVIIIe siècle ? Du mécanique plaqué sur du vivant, le type même du comique pour Bergson ?  Pas sûr du tout, si on en croit le commentaire en off :  il nous indique que c’est une danse privilégiée pour favoriser la concentration.
On apprend en outre lors du débat (treize séjours en Inde, cela vous rend crédible) que les Indiens dans la vie courante ont coutume de remuer la tête d’une façon comparable (le roulement d’yeux excepté, bien sûr) pour vous faire une réponse. Ni oui ni non ? Oui et non ? Il y a de la réponse de Normand dans ce procédé. Mais il paraît qu’avec l’expérience on décode des signes autrement relativement imperceptibles qui vous permettent quand même de deviner la bonne option.

           
Après l’humour, passons à l’érotisme. La sensualité des danses, si j’ai bien tout compris, doit s’interpréter un peu comme ce temple célèbre pour ses sculptures érotiques. Elles se montrent aux premiers niveaux du temple, puis disparaissent progressivement jusqu’à faire place à des représentations sacrées. Ainsi va la danse, dans la célébration constante - et constamment en élévation - du sacré. Pour la petite histoire : dans le public, des Vierzonnais ont déclaré le connaître pour l’avoir visité.

            Souffrance. Dès les premières séquences au bord de l’océan, le dieu Shiva parle. Et il dit que ce n’est pas par l’ascèse que l’on parvient au sommet de son art, c’est par le cœur. Mais cette remarque digne de Saint-Exupéry n’est guère corroborée par les témoignages. Le contraste entre la souffrance, bien compréhensible eu égard aux incroyables acrobaties présentées, et l’apparence constamment impassible de la danseuse tout en maîtrise, rend cet art particulièrement émouvant.

            Féminisme. On nous l’assure : il y a bien des danseurs. Mais on ne voit constamment que des danseuses, qui ont de fait un quasi-monopole dans cet art. Un danseur, présenté comme très célèbre et extrêmement séduisant pour le grand public (dont je ne fais pas partie, l’ignorant totalement en ce qui me concerne), fait pratiquement figure d’imposteur aux yeux des puristes présents.

            Une spectatrice particulièrement connaisseuse est arrivée à la fin du film, n’ayant pu se libérer plus tôt. Elle reçoit la dernière danse comme un choc.

            Les mouvements de rotation rapides sur soi-même. Le rapprochement s’impose avec les derviches tourneurs.

            Le gros plan sur le visage qui révèle l’âme de la danseuse. Lionel Tardif, qui a reçu ce plan comme un cadeau, s’est encore trouvé très ému en le revoyant.

            Les danses de théâtre actuelles n’ont plus rien de vraiment comparable, même si le sacré est toujours leur code de base.

            Les 108 figures de la danse (9x12).

            Le contrepoint des figures des temples, véritables frises de pierre. Les danses y sont littéralement écrites, codées, et la danseuse occidentale essaie un moment de s’en inspirer. La pierre transmet la danse au moyen de son éternité figée, et les danseuses au moyen d’un enseignement ésotérique de génération en génération.







DIS-MOI QUELS SONT LES FILMS QUE TU AIMES, JE TE DIRAI QUI TU ES…


Le réalisateur n’a pas, comme seules cordes à son arc, la danse et l’Inde. C’est un grand monsieur du cinéma, à l’origine du Studio des Ursulines de Tours où j’ai fait, étudiant, l’essentiel de ma culture cinéphilique : Bergman, Ford, Hawks, Hitchcock et autres Renoir. Il anime présentement le ciné-club d’Amboise, et est en quelque sorte venu en voisin.  Voici d’ailleurs comment nous l’avons présenté par mails aux amis et adhérents de notre association :

Vous n’aurez pas seulement vos modestes serviteurs habituels qui, vous le savez, font tout ce qu’ils peuvent pour vous faire aimer le cinéma debout (expression figurée, les fauteuils sont heureusement confortables), mais vous aurez une vraie pointure dans le domaine de la cinéphilie à laquelle, avec un talent reconnu, il a consacré une vie entière.

C’est lui qui en a parlé le premier. Son profond attachement pour Un roi sans divertissement (François Leterrier, 1963, d’après le roman de Giono qui produit le film et en signe l’adaptation, film ouvert par une magnifique chanson de Jacques Brel) ne pouvait rencontrer chez moi qu’un écho largement positif. Je le citai d’ailleurs spontanément ici même dans le compte-rendu de Mon âme par toi guérie (date : 9 décembre 2013).




Lionel Tardif est l’auteur d’un livre très documenté et très attachant sur le cinéma, véritablement une histoire amoureuse du cinéma et de son langage : Les grands aventuriers du cinéma. Architectes d’un langage nouveau 1895-1970 (Tours, 1998).



            Avec un pareil militant du cinéma de qualité, la programmation de Ciné-Rencontres et le rapprochement avec l’option cinéma du lycée Edouard Vaillant de Vierzon ne pouvaient pas manquer d’être évoqués. Les œuvres du patrimoine pourraient de temps en temps être honorées et revisitées utilement, les sorties à la suite d’une remastérisation réussie n’étant pas rares.  Une suggestion fut particulièrement encouragée et même vivement reprise par une partie du public : parmi l’œuvre de Franz Borzage (« Le plus beau chant d’amour du couple », livre p. 111), L’heure suprême (1927) ferait un magnifique spectacle, accompagné à l’orgue dans une église de Vierzon. Il nous a alors parlé d’Indiens qui se déclaraient ouvertement communistes et qui se rendaient régulièrement au temple sans sentiment de contradiction. Pas sûr qu’à Vierzon ce soit aussi courant…

            Il nous a également confié qu’il ne goûtait que médiocrement les films de David Lynch. Je connais un David de l’option cinéma qui en eût été marri. Une exception toutefois : le film avec la tondeuse à gazon (Une histoire vraie, The Straight story, 1999).
Voici les arguments de ces deux films :





L'Heure suprême (Seventh Heaven) est un film américain réalisé par Frank Borzage, sorti en 1927. John Ford en tourna quelques scènes. Sous le même titre, Henry King réalisera un remake parlant en 1937 avec James Stewart et Simone Simon : L'Heure suprême(Seventh Heaven).

Paris1914. « In the slums of Paris - under a street known as The Hole in the Sock.» (Dans les taudis de Paris - sous une rue connue comme le Trou dans la Chaussette).
Chico travaille dans les égouts mais rêve de balayer les rues pour voir la couleur du ciel. Se lamentant sur son sort, il nie l'existence de Dieu au prétexte de sa condition actuelle. Il a prié et donné dix francs dans une église sans obtenir la moindre réalisation de ses vœux. Mais le père Chevillon entendant sa plainte lui offre deux médailles religieuses et lui offre le poste de balayeur dont il rêve.
Diane vit dans la misère, battue et rejetée à la rue par sa sœur qui lui reproche d'avoir avoué leurs vies immorales à l'oncle riche qui leur proposait une vie meilleure. Prostrée dans un caniveau, elle pleure sur son sort.
Chico prend pitié de Diane et la sauve des coups, puis du policier venu l'arrêter, en la faisant passer pour sa femme. L'homme fier prend alors la frêle jeune femme sous sa protection tout en niant plusieurs fois tout sentiment. Toutefois, il l'emmène chez lui pour attester de leur situation auprès de la police. Son appartement est situé au dernier étage d'un immeuble. Arrivé à ce septième étage, Diane se croit au paradis.

Appréciation du blog « Le cinéphile déviant » (http://cinedev.blogspot.fr/2010/06/lheure-supreme-de-frank-borzage.html):
Le film est une merveille esthétique, mais ce qui est le plus intéressant dans ce bijou du cinéma muet, c'est sa dimension mystique. Ainsi, on retrouve dans L'heure suprême un mariage purement symbolique entre les deux héros (pas de témoins ni de prêtres, mais un échange de serment en face à face), une des caractéristiques récurrentes du cinéma de Borzage. Il y a aussi une obsession mystique pour la question de la foi (Diane est croyante alors que Chico est athée), et une dimension surnaturelle d'un lyrisme exacerbé. Car lors de leurs rendez-vous mentaux, les deux amoureux sont en contact télépathique, contact uniquement suggéré par une mise en scène brillante...
C'est larmoyant, bourré de symboles et contrasté à l'infini (horreur des tranchées, mansarde paradisiaque, égouts obscurs, usine d'obus déshumanisante).






Une histoire vraie ou Histoire vraie au Québec (The Straight Story) est un film américainbritannique et français réalisé parDavid Lynch et sorti en 1999.
En 1994, Alvin Straight, 73 ans, a un petit accident, une chute dans sa cuisine. Sa fille Rosie, bègue, l'oblige à aller consulter le médecin. On comprend que le vieil homme est un peu fatigué.
Un soir, en plein orage, un coup de fil retentit dans la maison. Rosie décroche, c'est le Wisconsin où vit Lyle, le frère d'Alvin. Lyle a eu une attaque. Alvin, bouleversé, réfléchit. Il n'a pas vu Lyle depuis 10 ans suite à une dispute violente et ils ne se pardonnent pas. Finalement, Alvin décide de rendre visite à son frère. Et il y ira sur sa tondeuse à gazon puisque c'est son seul moyen de locomotion. Il remet donc en état la vieille machine qui n'est alors qu'un tas de rouille, fabrique une remorque et prend la route. Un long périple de plus de 350 milles (563 km) l'attend, de Laurens, Iowa à Mount Zion, Wisconsin.


















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