Le but ici, je le rappelle, est d’apporter des compléments, si c’est utile iconographiques, par rapport au débat et à l’excellent billet de John.
Si j’ai tenu au cours du débat à mentionner l’importance des facteurs économiques et des inégalités de classes dans les conflits qui ensanglantent ce grand pays, ce n’est pas pour le plaisir de faire du marxisme de bas étage, mais bien parce que ce facteur, au moins autant que le facteur religieux sur lequel les médias mainstream insistent avec beaucoup plus de complaisance, est essentiel pour comprendre la cause de tant de massacres.
Certes, le Soudan n’est pas au premier rang ni pour les réserves ni pour l’exploitation du pétrole dans le monde, ce n’est pas l’Arabie Saoudite ni le Venezuela, mais tout étant relatif, dans un pays où le taux de pauvreté est aussi dramatique, il prend de ce fait une importance capitale.
« Le plus grand des maux est les guerres civiles », disait Pascal. Comme le film précédent (Bellocchio, L’enlèvement) qui se déroulait sur fond d’un événement capital pour l’histoire de l’Italie, celui-ci se déroule sur fond de guerre civile, à la fois en ce qui concerne sa création que son sujet, ce qui n’est guère étonnant quand on considère que ce pays, depuis 1955, est dans un état de guerre civile quasi permanent.
Chez nous, la dernière en date c’est la Commune de Paris 1871, celle qui peut nous en fournir l’exemple le plus éclairant dans un effet frappant de concordance des temps et des espaces, preuve que ce conflit soudanais largement occulté (et ce n’est pas le seul) n’est pas qu’un phénomène lointain et exotique, mais qu’il concerne l’humanité tout entière. L’occultation, c’est souvent le lot des guerres civiles, guerres souvent plus dérangeantes que toutes les autres.
Le moteur en est l’oppression, celle des opprimés qui se révoltent ou menacent de le faire, celle des oppresseurs prêts à tout pour préserver leurs privilèges menacés. Le film commence par une menace sur une famille riche dans un contexte de pauvreté, et le chef de famille tue celui qui le menace ou paraît le menacer. Au niveau d’un pays, c’est très vite résolu par un massacre de masse.
L’antagonisme se poursuit ensuite dans le commentaire de ce qui s’est passé. Les uns minimisent voire justifient, les autres demandent réparation de ce qu’ils considèrent comme un crime. La justice, faussement objective, vérifie la critique de La Fontaine sur les jugements de cour. Au passage, ici, on reconnaît un écho involontaire de la jurisprudence Dupond-Moretti : l’élément matériel est constitué, mais l’élément intentionnel n’est pas démontré.
L’équilibre précaire, quasi miraculeux, peut cependant s’envisager au niveau individuel dans le cadre d’une extraordinaire tolérance mutuelle (qui ne semble pouvoir n’être le fait que de deux femmes), au niveau collectif dans le cadre d’une politique de réconciliation nationale plus ou moins contrainte (Afrique du Sud, Rwanda, Algérie, Cambodge,…). Ici – paradoxe, ou plutôt expression d’une fatalité qui dépasse les hommes – c’est l’élément le plus innocent du groupe (je n’en dis pas plus volontairement) qui vient rompre cette fragile illusion d’utopie. Où on voit que le mensonge est le mieux partagé, que la vérité n’est pas moins mortifère (pas sûr qu’Antigone et Electre soient meilleures que Créon et Egisthe), que l’équilibre du semi-mensonge social de la doctrine confucéenne n’est pas une recette facile à appliquer dans la vie courante, pas plus que les traités de paix ou les protections onusiennes à l’international. On a dit que le film, malgré les apparences, n’était pas manichéen. Je suis bien d’accord, tant les déterminismes sociaux et culturels des uns et des autres, leurs expériences propres, les poussent à des visions et des comportements largement inconciliables. J’aurais tendance, sous cet aspect, à minimiser la responsabilité des individus, tous victimes en un sens, et à maximiser celle des dirigeants, trop souvent bourreaux assumés de leurs peuples.
Le contexte de la sortie du film (Wikipédia):
Quatrième guerre civile
Le conflit soudanais de 2023 (parfois surnommé guerre des généraux) est un conflit armé qui a débuté au Soudan le 15 avril 2023 entre l'armée au pouvoir dans le pays et les forces paramilitaires. Des affrontements ont éclaté dans tout le pays, principalement dans la capitale Khartoum et dans le Darfour.
Le 7 octobre, le bilan dépasse les 9 000 morts, pour un nombre de réfugiés toujours estimé à environ cinq millions
Le conflit entre les deux généraux conduit le Soudan au bord d'une quatrième guerre civile après celles de 1955-1972, 1983-2005 et 2003-2020.
Première guerre civile
La première guerre civile soudanaise est un conflit qui oppose une partie des populations du Nord (à majorité musulmane) et du Sud (à majorité chrétienne et animiste) du Soudan entre 1955 et 1972. Administrées séparément jusqu'en 1946, les deux régions sont fusionnées sans accord des dirigeants de la partie sud. En 1955, alors que l'indépendance du Soudan vis-à-vis de l'Égypte et du Royaume-Uni approche, une insurrection éclate dans la partie sud. Le mouvement s'amplifie à partir du milieu des années 1960, avec notamment un regroupement au sein d'Anyanya, et une extension du conflit dans le Nil Supérieur et au Bahr el-Ghazal. En 1972, l'autonomie partielle accordée au Sud dans l'accord d'Addis Abeba met un terme à la première guerre civile.
Deuxième guerre civile
La seconde guerre civile soudanaise a commencé en 1983, même si elle est plus précisément une suite de la première guerre civile soudanaise de 1955 à 1972. Elle s'est déroulée principalement dans le Soudan du Sud et fut l'une des guerres les plus longues et les plus meurtrières du xxe siècle. En effet, le bilan s'évaluait à 2 millions de morts, les rebelles séparatistes du Sud s'étant opposés au gouvernement central, et plus de 4 millions d'habitants du sud ont été forcés d'abandonner leur foyer. Le nombre de victimes civiles est l'un des plus élevés de toutes guerres, depuis la Seconde Guerre mondiale. Le conflit a officiellement pris fin avec la signature d'un accord de paix en janvier 2005.
Le conflit a été marqué par de nombreuses violations des droits de l'homme. Parmi celles-ci figurent l'esclavage et des massacres.
Cette guerre est habituellement représentée comme un combat entre les populations du Sud, non Arabes, et celles du Nord, contrôlées par un gouvernement arabe.
Depuis au moins le XVIIe siècle, les gouvernements centraux arabes ont essayé de réguler et d'exploiter les catholiques du Sud et du centre du Soudan.
Un autre élément d'explication de la seconde guerre civile tenait en la présence de nombreuses sources de pétrole, particulièrement dans le sud. Les revenus du pétrole constituaient près de 70 % des gains du Soudan à l'exportation. Du fait des nombreux affluents du Nil et des précipitations plus importantes dans le sud du Soudan, celui-ci a un meilleur accès à l'eau, et est de ce fait bien plus fertile. Le nord du pays est situé au commencement du désert du Sahara. Le désir des populations du nord de contrôler ces ressources, et de celles du sud d'en conserver la maîtrise, contribua à la guerre
Troisième guerre civile
La guerre du Darfour est un conflit armé qui a débuté le 26 février 2003 par la prise de Golo (en) par le Front de libération du Darfour, dans la région du Darfour, située dans l’Ouest du Soudan. Les origines du conflit sont anciennes et liées aux tensions ethniques qui débouchent sur le premier conflit du Darfour de 198714. Bien que le gouvernement soudanais affirme que le nombre de morts se situe aux environs de 10 000, les États-Unis, Israël et le Canada soupçonnent que ce conflit couvre un génocide ayant fait environ 300 000 morts et 2,7 millions de déplacés dont 230 000 réfugiés au Tchad. Ce conflit a pris fin le 3 octobre 2020, par la signature d'un traité de paix entre la majeure partie des belligérants.
Causes
Les raisons du conflit sont multiples et liées entre elles :
1. Une origine climatique et environnementale20 : un phénomène de sécheresse dans tout le Sahel, qui s'amplifie et de désertification qui a commencé depuis les années 1970;
2. Une explosion démographique : la population a doublé en 20 ans ;
3. Une compétition pour l'espace géographique ;
4. Des ethnies différentes, aux répartitions imbriquées. La guerre de 2003 opposait au départ les Zaghawas aux Arabes pro-gouvernementaux pour ensuite s'étendre aux autres ethnies ;
5. Les guerres du Tchad (1960-1990) et qui impliquaient les Zagha-was[réf. nécessaire] (ethnie étendue du Tchad au Soudan) ont une conséquence directe sur le conflit ;
6. La découverte de ressources pétrolières qui suscitent les convoitises de grandes puissances, en particulier de la Chine ;
7. Un pays vaste et mal unifié : le Soudan. Le pouvoir central néglige les peuples de la périphérie qui se révoltent. Il contrôle les conflits locaux afin de satisfaire certains de leurs intérêts.
Le Darfour est une région du Sahel qui se trouve à l'ouest du Soudan : 7 millions de personnes y vivent ; la région a un très faible niveau de développement : seulement un tiers des filles et 44,5 % des garçons vont à l'école primaire.
La découverte du pétrole dans cette région a suscité les convoitises. Si le conflit a largement été décrit en termes ethniques et politiques, il s'agit aussi d'une lutte pour les ressources pétrolières situées au sud et à l'ouest.
Selon Gérard Prunier, chercheur au CNRS et spécialiste de l'Afrique de l'Est, interrogé par le Monde diplomatique, la cause du conflit au Darfour est « racioculturelle ». Selon cet auteur, « les Arabes sont minoritaires au Soudan. Et les islamistes ne sont que l’ultime incarnation historique de leur domination ethnorégionale. Or la paix entre le Nord et le Sud est en train de se déliter rapidement. […] Il faut donc manipuler le tracé frontalier Nord-Sud qui place la plus grande part du pétrole au Sud (c’est en cours), se préparer à la reprise éventuelle des hostilités (on achète des armes), ancrer de solides alliances internationales (la Chine est acquise et l’Iran en cours de séduction) et conserver la maîtrise du territoire en créant un cordon sanitaire ethnorégional : les monts Nouba au Kordofan et le Darfour en feraient partie. Or si les tribus noubas ont été écrasées militairement entre 1992 et 2002, le Darfour paraît beaucoup plus menaçant. Les hiérarques arabes de Khartoum veulent éviter à tout prix une brèche par laquelle les Noirs de l’Ouest s’allieraient demain avec un Sud négro-africain indépendant… et pétrolier ! ».
Un référendum sur l'indépendance du Soudan du Sud a eu lieu le 9 janvier 2011. L'indépendance du Soudan du Sud n'a pas empêché le maintien du conflit dans les zones sudistes encore situées au Soudan.
En 2012, Jérôme Lacroix Leclair et Pierre Pahlavi estiment que la guerre au Darfour a fait « entre 180 000 et 400 000 morts ».
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