Cinégraphe: LES CONQUÉRANTES

16ème séance avec débat

LES CONQUÉRANTES

Film suisse de Petra Biondina Volpe avec Marie Leuenberger. (2017 -vost- 1h36).

VENDREDI 8 DECEMBRE 2017 (CINE DEBAT)

20H30

Le droit de vote des femmes tardif en Suisse (1971).
Le prétendu Ordre divin contre les femmes, liberté sexuelle et politique, comment changer les mentalités, même de nombreuses femmes,…

Les Conquérantes (Die Götliche Ordnung, « L’Ordre divin »)

Il y a beaucoup de procédés du mélodrame dans la partie fiction, il y a beaucoup de procédés du documentaire dans la présentation de ce petit village qui fonctionne en vase clos. On y devine plus qu’on ne nous montre que l’armée – une milice citoyenne, cas à peu près unique – peut avoir d’une manière originale une fonction libératrice, à rebours d’une religion qui, d’une manière plus classique, se tient en garante du pouvoir, donc de la domination masculine.

Disons-le tout de suite, ce n’est pas le genre de film où le mérite du spectateur consiste à deviner avant tout le monde ce qui va arriver. L’intrigue, qui mène tout droit vers une fin que je ne qualifierai pas pour ménager un semblant de suspens, est le plus souvent cousue de fil blanc. Le pathétique y est parfois quand même un peu trop téléphoné (le regard de la fille qu’on emmène à l’arrière de la voiture, plan lourdement insistant). Aussi appuyé mais sensiblement plus subtile, cette indication donnée à partir de la scène intimiste où avec les enfants on regarde un globe terrestre lumineux : y lire même avec peu de vraisemblance Gegen Strom (Contre-courant) lance immédiatement l’action volontariste et déterminée qui suit.

Puisque combat il y eut, celui que mènent les personnages principaux révèle tour à tour une bonne dose de courage et une bonne dose d’inconscience. « Tu aurais dû le prévoir », dit à une moment une amie pourtant bien intentionnée. Mais précisément tout le monde ici est dans l’incapacité de prévoir quoi que ce soit, pas même la violence en retour qui laisse à chaque fois désarmé celle (le plus souvent) ou celui (parfois) qui s’y trouvent confrontés. Heureusement, on est en Suisse, au cœur de l’Europe, et même dans ce village retiré, les habitants apportent la preuve qu’ils appartiennent globalement à un peuple hautement civilisé et doué de sensibilité, même quand l’écorce paraît rude. Et cette rudesse se transmet: il vaut mieux s'y prendre tôt si on veut changer les mentalités. Témoins ces enfants étonnés: "Mais pas moi!... Je suis un garçon!" Intéressant aussi d''un point de vue ethnologique la révélation d'une complexité jusque-là parfaitement invisible et ignorée: celle des instructions qu'il faut mettre en oeuvre quand la ménagère délègue aux mâles du logis, concernant le repas, le fonctionnement des appareils ménagers. Et le dosage de la machine à laver le linge n'est pas la plus simple des consignes.

Pour le film en quête d’originalité, c’est finalement une chance que tout cela se passe dans la même période post-soixante-huitarde, ce qui permet, avec une saveur certaine, d’associer tout naturellement la conquête du vagin avec celle du bulletin.

C’est un film hautement et dignement féministe, mais qui au-delà réussit à magnifier tout combat légitime, même le plus modeste, et même avec les plus modestes combattants (comme la vieille héroïne qui était la seule autrefois à s’opposer au groupe… mais seulement dans ses rêves). Sous cet angle, il suscite le rapprochement avec de nombreux films, notamment de guerre mais pas seulement, où des personnages a priori peu faits pour cela – des anti-héroïnes ou des anti-héros - accomplissent avec beaucoup d’humilité des actes qui sont, eux, incontestablement héroïques.

Cela dit, beaucoup de mélos fonctionnent parfaitement, même sans faire montre de grande subtilité. Et celui-ci fonctionne globalement plutôt bien, et en plus il n’est absolument pas dépourvu de subtilités. Au total tout cela, pour le réalisateur comme pour le film, est très loin d’être sans mérites en plus de celui, qui n’est pas mince, de gagner notre sympathie.

Quant aux slogans, forcément réducteurs, il vaudrait mieux toujours être en mesure de leur préférer le discernement allié à l’esprit critique, car « Il faut vivre avec son temps » n’est pas moins lourd d’errements fâcheux que « Il faut respecter la coutume ». Mais ceci est une autre histoire…

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