samedi 13 juin 2015

HOWARD ZINN

33ème séance avec débat





HOWARD ZINN 
UNE HISTOIRE POPULAIRE AMERICAINE







VENDREDI 12 JUIN 2015
20H30
SOIREE DEBAT

Film documentaire français de Olivier Azam et Daniel Mermet. (2014 - 1h46)








Tout d’abord et globalement, comme Chabrol dit Merci pour le chocolat, il faut dire Merci pour le film.
Il est nécessaire en effet qu’il existe, et qu’il soit vu, dans un monde où la presse est propriété de la finance et où la fabrication du consentement est d’une efficacité telle qu’on peut presque toujours se passer des types de  violences auxquels ont habituellement recours les dictatures traditionnelles.




Pour le satisfecit, je partage le film en deux parties : avant et après le déclenchement de la première Grande Guerre. Je suis plus réservé en ce qui concerne la présentation de la phase de transition.


Avant.
On est plus que convaincu quand on nous rappelle les coûts sociaux de la révolution industrielle, avec son lot de statistiques effrayantes (50 % de mortalité pour les enfants de moins de six ans).
Ce fut une révélation en revanche, pour une grande part du public, que la violence des affrontements police et armée contre grévistes. L’épisode du Haymarket de Chicago à l’origine du premier mai est bien rappelé, même si l’identité du lanceur de l’explosif au milieu du service d’ordre n’est qu’à l’état d’hypothèse. Agent provocateur ou anarchistes ? Les deux sont tout à fait possibles. Ce qui est sûr en revanche, c’est la répression brutale qui s’en est suivie, et le fait que cet acte a été utilisé par le pouvoir américain comme une justification suffisante.

Pour ceux que ça intéresse, on pourra trouver ici un écho utile et une piste pour approfondir :
http://vaillantitude.blogspot.fr/2015/05/1886-le-1er-mai-de-chicago.html


Eclairant aussi est le message passé par le truchement d’images animées en noir et blanc présentant les principaux maîtres du monde de l’époque. Rockefeller, disant qu’il ne fallait jamais laisser penser qu’une grève puisse conduire à un succès, ou son collègue disant qu’il avait les moyens de se payer la moitié des prolétaires pour exterminer l’autre moitié.
En revanche la vision américano-centrée est souvent et largement susceptible de conduire à des confusions ou à des points de vue réducteurs qui passent parfois fâcheusement la limite de l’analyse historique naïve, voire ridicule.

Dès le départ, la sensibilité mise en avant sur fond autobiographique donne le ton : J’étais au milieu de porteurs de pancartes qui disaient que la paix valait mieux que la guerre. J’ai trouvé que ceux-là étaient les plus sympathiques. Certes, mais c’est un peu court devant les situations réelles par nature beaucoup plus complexes. Même si on apprécie au passage une phrase vaguement démagogique comme celle-ci : les pauvres savant de quoi ils parlent, bien mieux que les sociologues, encore faudrait-il qu’ils parlent…

Parfois le point de vue se perd. On rappelle que Lincoln assimilait les prolétaires exploités dans les usines du nord aux esclaves des champs de cotons dans les colonies esclavagistes du Sud. On rappelle aussi que c’est un argument utilisé par les dits esclavagistes pour justifier leurs pratiques. Mais si on nous abandonne à ce point, que faut-il en conclure ?…
On attendrait un approfondissement de ce qui est bizarrement occulté ou plus que lacunaire dans le film (les Indiens, les noirs, n’étaient-ils pas au premier rang de ces fameux « lapins » au bout du fusil des maîtres blancs ?). Il n’y a pas de guerre originelle que contre les Anglais. Les Indiens ont eu largement leur part. Le western est un grand genre cinématographique d’abord américain.
Voir notre blog à la page de Twelve years a slave (Lincoln, et ce n’est pas le seul, possédait des esclaves noirs, et les esclaves n’étaient pas une exclusivité du Sud, tant s’en faut…
http://cinegraphe.blogspot.fr/2014/02/12-years-slave.html



Les Etats-Unis ont tous les records, c’est bien connu. Y compris celui de la dureté des répressions prolétariennes, et du refoulé de l’enseignement de leur histoire sociale : des centaines de morts et de blessés, des grèves dures inconnues du grand public…
On rappellera juste qu’en France le prolétariat parisien a été massacré par dizaines de milliers par l’armée gouvernementale au cours de la Commune de Paris du 18 mars au 28 mai 1871, et que cet épisode, pourtant des plus « spectaculaires » de notre histoire contemporaine, est totalement ignorée de l’ensemble de la population et hors du champ de vision des programmes d’histoire à l’école, lesquels se limitent à la Saint-Barthélemy et aux massacres de septembre 93, pourtant plus anciens et de moindre ampleur.



Après
Intéressant à rappeler, car la propagande officielle efficace l’occulte toujours,  le rôle de la finance internationale dans les conflits.
On a eu à ce sujet au Café Repaire une intervention intéressante d’Annie Lacroix-Riz sur la synarchie, qui permet de passer en transition d’un siècle à l’autre, puisqu’il s’agit en réalité d’une constante (maîtres de forges, banquiers historiques, finance mondialisée moderne).
Pour en savoir plus sur la synarchie :
http://cinegraphe.blogspot.fr/2014/04/actu-avril-2014.html

Le lien effectué entre la propagande nazie (Goebbels) et l’origine publicitaire américaine qui lui a fourni l’essentiel de ses armes est évidemment pertinent. On s’étonne simplement que le principal d’entre eux, le pionnier de l’industrie automobile Henry Ford, à tendances antisémites et à sympathies nationales-socialistes, n’ait pas été mentionné, alors que le taylorisme trouvait là son application exemplaire.

Il y a aura une suite, et on aura sûrement droit à des compléments sur la Seconde guerre mondiale. Suivra-t-on alors l’ensemble des causalités complexes qui caractérisent les trois conflits franco-allemands successifs depuis 1870 jusqu’en 1945 ? Faute d’une telle continuité, on se condamne à des simplification qui condamnent à ne rien comprendre. En histoire, la synchronie c’est bien, mais elle est vaine si elle se prive de sa substance diachronique.
Question liée : Chaplin est-il réactionnaire quand il milite pour les bons en faveur de l’effort de guerre dans le premier conflit, alors qu’il est progressiste avec le Dictateur contre Hitler dans le second ? Pour moi, il reste exactement dans la même cohérence.





Il y avait beaucoup de citations marquantes dans lesquelles je suis susceptibles de me perdre. Mais Edwige a pris des notes, et avec l’aide de tous, je ne manquerai pas de tenir compte des corrections nécessaires : je compte sur vous – I need YOU !
Anatole France : On croit mourir pour la patrie, on meurt pour des industriels.

Et qui a dit (en substance, encore) :  On envoie se battre des gens qui ne se connaissent pas pour le profit de gens qui se connaissent trop bien. Paul Valery, je crois, plus connu pour sa phrase sur les civilisations qui se découvrent mortelles. C’est bien aussi Rosa Luxemburg, qui disait par ailleurs que cette guerre avait été enclenchée pour faire taire la voix des prolétaires qui revendiquaient un meilleur sort.


Le tournant de la Grande Guerre
C’est sûrement là que se trouve l’aspect le plus caricatural du film. C’est fâcheux, quand on prétend lutter contre les images de l’historiographie officielle qui sont autant de clichés déformants.
Alors Jaurès qui est sur le point de sauver la paix est assassiné, et c’est l’ouverture soudaine de la bonde qui apporte l’horrible guerre.
Alors la propagande qui pousse à la guerre est toute ridicule, raciste au sens moderne du mot (les odeurs…), et toujours le fait de la France contre l’Allemagne.
C’est un peu court, jeune homme, et il faudrait plus que l’espace de ce blog pour rectifier de telles insffisances.
Quelques pistes cependant.
Le mouvement anti-capitaliste n’est pas uniforme ni sans divisions profondes. L’internationale marxiste n’est pas toujours sur la même ligne que le mouvement anarchiste, il ont parfois des oppositions plus que sévères. Ne pas en tenir compte est source de bien des incompréhensions.
Le patriotisme n’est pas réductible à un seul effet de propagande capitaliste et financière. Il est la résultante d’une histoire commune et de la défense de valeurs partagées.
Jaurès, comme tout le mouvement socialiste de la fin du XIXe siècle et du début du XXe est indiscutablement patriote. Ses références sont les Lumières, les soldats de l’an II et la Révolution française dont il a écrit une magnifique histoire.  Il n’est pas le seul à fonder ses espoirs sur une internationale prolétarienne capable de s’opposer à la guerre : c’est même la position majoritaire et officielle de la Seconde Internatioale. Tout en sachant et en écrivant que si le conflit devient inévitable, il faudra bien alors faire son devoir. Et quand le SPD allemand vote les crédits de guerre, que la guerre est là du fait de l’attaque allemande, l’ensemble de son camp considère comme un seul qu’il n’y a plus de choix. Rosa Luxemburg en Allemagne et quelques pacifistes irréductibles en France persistent et signent d’une façon qu’on peut qualifier d’héroïque, mais ils ne pèsent rien.
La propagande anti-allemande est ridiculisée. Certes, mais qu’en conclure ? D’abord, il en existe une exactement symétrique de l’autre côté. Curieux comme du point de vue du film on ignore les visées impérialistes de Guillaume II, pourtant les premières menaces contre la paix en Europe à cette époque. Les exactions sont ridiculement exagérées : on ne coupe pas les mains de toutes les jeunes filles, on ne passe pas systématiquement à la baïonnette les bébés et les enfants… Faut-il pour autant banaliser les exactions de ces guerres, bien réelles celles-là ? Faut-il les passer par pertes et profits en disant que toutes les guerres connaissent ce genre d’exactions malheureusement ? C’est lire l’histoire au prisme déformant des horreurs postérieures et des fascismes du XXe et du XXIe siècle. Les références des gens qui ont subi l’invasion allemande de 70 n’avaient rien de commun avec cela. On accueille même l’Allemand en beaucoup d’endroits avec confiance. Mais après les horreurs bien réelles subies par la population dans le quart nord-est de la France et notamment dans le grand département de la Seine qui à l’époque entourait Paris, on a affaire un choc de brutalité d’une ampleur totalement inédite, et qui restera dans les mémoires comme annonciatrices des guerres du XXe siècle, sans excepter la seconde.
Ce ne sont pas les guerres du XVIII e siècle qui pouvaient donner une idée de ce qui s’est produit. Fontenoy, c’est tout autre chose. Même Napoléon Ier avait un côté ambivalent et libérateur des peuples qui n’était pas de même nature. Deux repères du passé, qui remontent tous deux au XVIIe siècle, peuvent être rapprochés, repères qui sont depuis longtemps oubliés, surtout en France bien entendu. Ce sont les massacres du Palatinat de Louis XIV (l’Allemagne de Bismarck saura réactiver l’épisode dans sa propagande pour justifier ses brutalités), et les massacres de Magdebourg, évidemment eux aussi lointains et oubliés, épisode de guerres de religions de la Guerre de Trente ans de protestants « protégés » par le Danemark, assiégés et massacrés par les catholiques de l’Empire, d’où la France est absente.
Comment Howard Zinn présenterait-il avec un détachement tout théorique l’idée des Etats-Unis sur le point d’être rayés de la carte par un Mexique ou un Canada surpuissants et surarmés, dopés par une idéologie hyper prédatrice ? Pas facile… Moins facile en tout cas que de voir la situation européenne comme une sorte de magma indifférencié, étant soi-même protégé par toute la largeur d’un des océans les plus grands de la planète. Il n’est que de voir ce qui se passe, en matière de traumatisme, quand c’est son propre sol qui devient l’épicentre des conflits. Le 11 septembre en témoigne avec assez d’éloquence.



Compléments
Parmi les mérites du film : des archives apparemment inédites et dont la diffusion reste ailleurs plus que problématique. Evidemment, le point de vue des « vaincus » plutôt que des « vainqueurs » est le mérite principal. Avec un effet Germinal assumé : de défaite en défaite, de répression en répression, la prise de conscience progresse et la tâche des exploiteurs s’en trouve compliquée. C’est un des messages optimistes du film.
Il faut voir dans ce film un film didactique à thèse, ce qui est évidemment son droit, et qui n’a pas vocation à rendre compte de tout, mais surtout à faire état de faits souvent, pour ne pas dire toujours, largement occultés.
On aimerait  seulement que ce ne soit pas au bénéfice d’un point du vue tellement réducteur qu’il conduit au non-sens ou, pire, au contre-sens.
Attendons avec impatience la suite, qui aura à se confronter à des événements extrêmement lourds également, tant en Europe qu’aux Etats-Unis, puisque les deux histoires sont largement couplées depuis les origines.

Un peu de fraîcheur dans ce monde cynique. L’enfant qui a puisé dans ce film des éléments dont la brutalité a pu parfois le toucher, mais qui font sens avec les explications, notamment celles du papa qui l’accompagnait. Il en sera ressorti enrichi.




Le rapport avec l’actualité n’a pas manqué de frapper les esprits : les vagues de migrations venues d’Europe, non pas par un souci humanitaire d’accueil, mais pour casser les revendications des travailleurs locaux en introduisant la concurrence d’une main d’œuvre abondante, servile et bon marché. Chaplin, encore. On aurait pu aussi penser à Elia Kazan, mais on ne peut pas tout mettre non plus.
http://fr.wikipedia.org/wiki/America,_America




La militante altermondialiste Naomi Klein a été citée parmi les lectures complémentaires:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Naomi_Klein










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